Le délit d’initié sévit encore dans la crypto

23 mai 2022 - 12:58

Temps de lecture : 4 minutes

Le délit d’initié, une pratique héritée de la finance traditionnelle n’est pas étrangère au monde de la crypto. Plusieurs fois pointé dans sa toute jeune histoire, il réapparaît périodiquement au gré d’une observation attentive des données de la blockchain. La tolérance zéro en la matière prônée par les plateformes d’échange crypto est mise à mal par les dernières révélations du Wall Street Journal.

Le délit d’initié court toujours dans la crypto

Selon un article du journal financier citant des données de la société d’analyse Argus, des investisseurs anonymes auraient largement profité d’informations privilégiées quant au listing futur de jetons sur les plateformes d’échange Binance, Coinbase et FTX. Une aubaine bien sûr, car on sait qu’une crypto répertoriée sur un exchange de premier plan voit son prix exploser les premiers jours.

Argus a notamment identifié 46 portefeuilles numériques qui ont acquis des jetons Gnosis (GNO) pour un total de 17,3 millions de dollars en août 2021. Immédiatement après leur inscription sur les plateformes de trading majeures, ils les ont vendu générant un profit plus que conséquent.

Le bénéfice des transactions avec des jetons visibles dans la blockchain s’est élevé à plus de 1,7 million de dollars. Cependant, leur revenu réel est susceptible d’être beaucoup plus important. Une partie des actifs ayant été transférée des portefeuilles aux échanges, et non échangée directement contre des stablecoins. 

Argus sur Twitter

Le timing de l’opération laisse peu de doute sur la réalité du délit d’initié. En effet, en s’appuyant à titre d’exemple sur un cas précis décelé sur Binance, les données révèlent qu’un portefeuille a accumulé des jetons Gnosis (GNO) pour un montant de 360 000 dollars les six jours précédant son recensement sur la plateforme. Quatre minutes après que Binance ait intégré sa cotation, le portefeuille a commencé à vendre et a tout liquidé en 24 heures. Résultat : 500 000 dollars, 140 000 dollars de bénéfice. Un beau pactole pour un portefeuille apparemment coutumier du fait.

Cette pratique délictueuse, qui s’opère au détriment des investisseurs particuliers, revient donc sur le tapis en dépit des allégations des principales plateformes d’échange qui affirment combattre ce phénomène délétère.

La défense des plateformes d’échange

En effet, les exchanges impliqués dans cette analyse ont farouchement nié que leurs salariés puissent être à l’origine de ces manoeuvres frauduleuses. Leur politique de conformité respective interdisant supposément aux employés de négocier des cryptos sur la base d’informations privilégiées.

Sam Bankman-Fried, PDG de FTX, a déclaré via un e-mail que la société interdisait explicitement aux employés d’échanger ou de partager des informations relatives aux listes de jetons à venir. Il a également affirmé que les échanges mis en évidence dans l’analyse d’Argus ne résultent d’aucune violation substantielle de la politique de l’entreprise. Binance a également soutenu ce point de vue.

Nous avons une politique de tolérance zéro et nous nous tenons aux normes les plus élevées. 3 enquêteurs ont examiné les portefeuilles, aucun ne peut s’associer aux employés de Binance.

Changpeng Zhao, PDG de Binance, sur Twitter

Cependant, la politique vertueuse de la plateforme, admet CZ, peut connaître des faiblesses.

… Nous essayons même de ne pas faire savoir aux équipes de projet quand [les cryptos] seront listées. Mais parfois, cela ne peut pas s’éviter complètement lorsque nous avons besoin d’une assistance technique pour l’intégration du portefeuille, etc.

Changpeng Zhao, PDG de Binance, sur Twitter

La transparence de la blockchain, un atout à exploiter

Quant à Coinbase, sur la sellette depuis que l’influenceur Cobie a découvert en avril une adresse qui avait investi « des centaines de milliers de dollars » dans des jetons 24 heures avant leur intégration sur la plateforme, il a aussi défendu sa politique en la matière tout en reconnaissant des failles dans le système.

Avant d’intégrer un actif, nous devons le tester d’une manière qui apparaît sur la blockchain. Ces signaux ne sont pas évidents mais sont néanmoins accessibles à tous et détectés si quelqu’un les cherche vraiment, en examinant les données disponibles.

Blog de Coinbase en date du 19 mai

Mais l’article du directeur financier de Coinbase insiste à raison sur la transparence de la blockchain.

Il est important de comprendre que le suivi et la perturbation des acteurs malveillants utilisant la cryptographie sont bien plus efficaces que s’ils utilisaient des monnaies fiduciaires traditionnelles. Cela ne veut pas dire que c’est facile. Mais nous avons un avantage car les transactions cryptographiques sont enregistrées sur une blockchain permanente et publique, ce qui donne à nos équipes d’enquête – ainsi qu’au public et aux forces de l’ordre – une visibilité sur les détails des différentes transactions. 

Blog de Coinbase en date du 19 mai

Néanmoins, le problème est loin d’être en voie de résolution.

Les régulateurs s’emparent du sujet

Pour le PDG d’Argus, Owen Rapaport, les politiques de conformité internes en matière de cryptographie peuvent être sapées par un manque de directives réglementaires claires et l’éthique libertaire de beaucoup de ceux qui travaillent dans l’espace. Il relève aussi le manque de normes institutionnalisées contre le délit d’initié en matière de cryptographie par rapport à celles de la finance traditionnelle. Un argument plus douteux dans la mesure où l’actualité de la finance classique rappelle souvent l’existence tenace de ce genre de pratique.

Quoi qu’il en soit, les régulateurs déjà sur le grill, vont certainement hausser le ton. Le Wall Street Journal rapporte bien opportunément la dernière intervention du patron de la Securities and Exchange Commission américaine.

Gary Gensler, a déclaré lundi qu’il voyait des similitudes entre l’afflux d’investisseurs individuels sur les marchés de la cryptographie et le boom boursier des années 1920 qui présageait la Grande Dépression et qui a conduit à la création de la SEC et à son mandat de protection des investisseurs.

Le public de la vente au détail avait profondément pénétré les marchés dans les années 1920 et nous avons vu comment cela s’est passé. Ne laissez personne dire : » Eh bien, nous n’avons pas besoin de nous protéger contre la fraude et la manipulation ! C’est là que vous perdez confiance dans les marchés.

Le délit d’initié de nouveau pointé dans l’écosystème est du pain bénit pour sa défense du consommateur qui est au centre de sa politique. Surtout, rien n’est plus désagréable que d’observer les travers du vieux monde dans un univers qui veut prétendument faire table rase du passé. La communauté n’est pas naïve, ses vigies restent sur le guet. Mais pour les débutants, c’est une autre histoire. Il faut absolument combattre ce fléau pour rendre l’écosystème crypto plus équitable.

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