DeFi vs décentralisation – Un frein à son développement qui subit les attaques de la SEC

20 août 2021 - 11:00

Temps de lecture : 6 minutes

Par Hugh B.

Il y a trois raisons principales de parler de la DeFi. La première consiste à en énumérer les attaques successives. La seconde est l’occasion de dresser un bilan des records qu’elle enregistre. Et la troisième concerne les tentatives de régulation d’un système économique traditionnel qui oscille entre admiration et crainte à son égard. Mais parfois au milieu de tout cela, des voix s’élèvent pour en aborder le caractère décentralisé et les problèmes et solutions que cela implique. Et le point de vue exprimé est généralement bien différent s’il s’agit de Vitalik Buterin ou de l’actuel président de la Security and Exchange Commission (SEC) américaine…

Malgré les attaques à répétition dont elle est la victime, la DeFi reste un laboratoire d’expérimentation sans précédent dans l’univers des cryptomonnaies. Un château de cartes dont la force et la solidité reposent sur l’absence de structures centralisées. Et dont la gestion revient aux détenteurs de jetons de chacun de ses protocoles, sous la forme de votes communautaires. Un principe de gouvernance qui est la base même de son autonomie et de son indépendance effective. Mais que le fondateur d’Ethereum juge encore perfectible et à l’origine d’un ralentissement important de son développement.

Et pendant que cette finance 2.0 tente d’échapper à l’exploitation de ses failles informatiques, l’actuel président de la SEC cherche à en détecter les failles réglementaires. Un Gary Gensler en mode chien anti-drogue qui renifle chacun de ses protocoles pour en évaluer la décentralisation effective. Car c’est bien sur ce point – que certains jugent pourtant inutile – que se dessine la frontière de son territoire répressif. Et il se pourrait bien qu’il ait le pouvoir d’en redessiner les contours.

SEC vs DeFi – Comment imposer une régulation sur un système décentralisé ?

Il suffit pour cela de demander au trop centralisé projet Ripple et sa cryptomonnaie XRP ce qu’il en pense. Deux positions qui permettent de comprendre et de mesurer l’importance de ce principe de fonctionnement au sein de la DeFi. Cela entre protection contre les instances de régulation et frein possible à son développement.

Un principe de gouvernance qui freine la DeFi

Et le premier point de cette étude sur la décentralisation de la DeFi débute avec la récente intervention de Vitalik Buterin sur le sujet. Ce dernier toujours à l’origine de réflexions intéressantes et développées en toute indépendance. Une position qui ne lui permet pas de se faire que des amis dans le domaine, mais au moins a-t-il cette force d’appuyer là où ça peut faire mal. Ce qu’il n’a pas manqué de faire sur la question centrale (sans mauvais jeu de mots) des votes de gouvernance. Un principe qui repose actuellement sur le fait de détenir des jetons en relation au protocole concerné. Et qui pose de nombreux problèmes quant à la supposée décentralisation que cela est censé permettre d’obtenir.

« La chose la plus importante qui puisse être faite aujourd’hui est de s’éloigner de l’idée que le vote par pièces est la seule forme légitime de décentralisation de la gouvernance. » Vitalik Buterin

La plateforme Curve s’étrangle avec son sushi du nom de Swerve

Car comme à chaque fois qu’un système repose sur l’autodétermination et la confiance, ses principes sont rapidement détournés par des individus sans scrupules. Comme ce fut le cas l’an dernier au sein du projet Curve Finance. Cela lorsque son fondateur a obtenu plus de 70% des droits de vote en s’emparant des réserves de jetons CRV du protocole. Un comportement qui n’a rien de très décentralisé, mais qui intervenait dans le cadre d’une lutte contre un autre problème lié à ce principe de fonctionnement. Et qui n’est autre que la prise de pouvoir effectuée par les baleines et autres détenteurs d’un nombre (trop) important de ces bulletins de vote numériques.

Vers un principe de « preuve d’humanité »

Un processus qui permet d’acheter des votes au sens « propre » du terme. Et qui peut même être l’occasion d’attaques de gouvernance à l’aide de prêts flashloan. Cela en devenant le temps d’un vote un détenteur massif de jetons du protocole concerné. Raison pour laquelle Vitalik Buterin remet ce système actuel en cause. Le tout au profit d’une solution qu’il présente sous la dénomination de « preuve d’humanité ». Ce qui revient à donner une voix à chaque détenteur de jetons, quel qu’en soit le nombre effectif. Ou encore une « preuve de participation » qui permet à chaque utilisateur du protocole ayant effectué au moins une opération précise d’obtenir un droit de vote en retour.

DeFi vs communauté – La décentralisation se heurte aux attaques de gouvernance

« Le vote par pièces échoue parce que si les électeurs sont collectivement responsables de leurs décisions (si tout le monde vote pour une décision terrible, les pièces de chacun tombent à zéro). Chaque électeur n’est pas individuellement responsable. » – Vitalik Buterin

Une mise en place qui permettrait donc de rendre les votes communautaires plus représentatifs et moins centralisés. Mais qui nécessiterait que les individus se prennent en main pour effectuer cette tâche trop souvent négligée. Car la pérennité de cette finance décentralisée ne peut s’exonérer d’une gestion qui implique un investissement de ses utilisateurs qui soit plus que simplement financier. Et même si Vitalik Buterin juge que trop de DeFi nuit au développement d’Ethereum, trop de centralisation dans les votes de gouvernance nuit également à la DeFi.

Le chien anti-centralisation de la SEC

Une nuisance qui n’est certainement pas pour déplaire à l’actuel président de la SEC américaine Gary Gensler. Ce dernier lancé dans une véritable chasse à la centralisation au sein de la DeFi. Une lubie qui s’inspire à n’en pas douter des techniques de répression utilisées par la police lors des manifestations. Et qui revient à systématiquement demander qui est le « responsable » du groupe. Une question qui ne trouve pas de réponse dans une logique de décentralisation. Ce qui se termine la plupart du temps pas la décision d’attraper les personnes qui tiennent la banderole, car elles sont de toute évidence plus impliquées que les autres.

« Ces plateformes financières facilitent quelque chose qui peut être décentralisé à certains égards, mais hautement centralisé à d’autres. » – Gary Gensler

Le président de la SEC voit des titres financiers non déclarés partout partout partout…

Car selon Gary Gensler, il est possible de trouver de la centralisation n’importe où. Il suffit pour cela de ne plus s’intéresser uniquement aux protocoles, mais de détourner à son avantage une version dévoyée de la preuve d’humanité envisagée par Vitalik Buterin. C’est-à-dire s’attaquer aux développeurs du code des protocoles ou aux influenceurs (et médias ?) qui en font la promotion. Une identification qui selon lui est suffisante pour rendre ces structures bien assez centralisées pour « venir travailler avec nous et s’inscrire auprès de la SEC. » Il suffit d’attendre que l’un d’entre eux s’éloigne un peu trop du troupeau…

« Il y a toujours un noyau de personnes qui non seulement écrivent le logiciel, mais participent bien souvent à la gouvernance et aux frais. (…) Il existe des systèmes d’incitation pour ces promoteurs et sponsors au milieu de tout cela. » – Gary Gensler

La DeFi face à sa décentralisation

Ce qui place la DeFi dans une position assez inconfortable. Cette dernière prise en étau entre une décentralisation qui nécessite d’être améliorée, mais qui devient pourtant insuffisante pour échapper aux instances de régulation. Ce qui révèle une nouvelle fois à quel point l’anonymat du fondateur du Bitcoin – Satoshi Nakamoto – était en tout point nécessaire et visionnaire. Mais également la force de ce principe communautaire insaisissable face à un modèle répressif qui ne sait pas comment le faire entrer dans ses cases. Car au final, il est juste question de mettre une laisse à cet animal (encore) sauvage pour en faire la prochaine finance de compagnie des puissants de ce monde.

DeFi – Entre milliards de dollars et positionnement idéologique

Quoi qu’il en soit, cette question de la décentralisation de la DeFi reste le point incontournable et central de son développement. Car c’est sur ce principe qu’elle a construit son modèle économique numérique basé sur les cryptomonnaies. Cela sans relation effective avec une structure centralisée qui pourrait bien devenir le prochain gros problème de Binance avec sa Smart Chain du même nom. Et en dehors de toute relation avec une économie traditionnelle qu’elle pourrait bien être amenée à concurrencer et/ou remplacer. À moins que cette dernière ne finisse par l’avaler toute crue, avant d’en recracher une version aseptisée et estampillée par les instances de régulation comme la SEC.

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