Gouvernance vs DeFi – Les « politiciens de protocoles » prennent-ils le pouvoir ?

27 août 2021 - 10:29

Temps de lecture : 5 minutes

Par Hugh B.

La DeFi offre un environnement décentralisé censé en assurer l’indépendance et la sécurité. Un processus qui repose sur la participation d’une communauté dans ce que l’on nomme les votes de gouvernance. Des questions stratégiques et modifications de protocoles qui nécessitent d’obtenir une majorité de voix avant d’être adoptées. Et dont la puissance décisionnaire est proportionnelle à la quantité de jetons détenus par chaque adresse concernée. Ce qui semble une bonne chose sur le papier, mais pose le problème des gros investisseurs parfois en possession de plus de 10% des voix exprimées. Ou comment la démocratie se heurte une nouvelle fois aux baleines de la DeFi.

Il est toujours intrigant de constater que – quel que soit le modèle de fonctionnement – les mêmes questions refont toujours surface. Et dans le cas de la DeFi cela concerne le principe central des votes communautaires. Une procédure rendue possible pas l’émission de jetons de gouvernance comme le UNI de la plateforme décentralisée Uniswap. Mais dont le fonctionnement effectif se heurte à une abstention importante et des bulletins de vote aux poids bien différents. Bienvenue dans ce nouvel épisode de la construction en cours du principe de décentratie (décentralisation + démocratie).

Une problématique qui est actuellement vivement débattue au sein de la communauté DeFi qui fonctionne sur le réseau Ethereum. Et qui pose la question du frein éventuel que cette nécessité de gouvernance pourrait poser à son développement. En particulier suite à deux votes très polémiques ayant récemment eu lieu au sein de la communauté d’Uniswap. Et dont l’issue semble avoir été à chaque fois fortement orientée par l’intervention musclée du pouvoir décisionnaire d’Andreessen Horowitz (a16z). Ce mastodonte du capital-risque appliqué à l’univers des cryptomonnaies qui représente à lui seul des dizaines de millions de jetons UNI. Et parfois plus de 40% des votes si l’on comptabilise l’ensemble de ses « délégués » actuels.

Décentralisation vs gouvernance

Une réalité qui pourrait ne pas poser de problème dans un système de fonctionnement normal. C’est-à-dire dans lequel le pouvoir finit toujours par se résumer à une question de taille. Mais qui prend une autre dimension dans la logique de décentralisation de la DeFi. Cette dernière censée éviter toute prise de contrôle par une entité unique, qu’il s’agisse d’une société ou d’un individu. Ce qui soulève régulièrement le problème du pouvoir des baleines (whales) et de leur contrôle effectif sur ce marché. Et visiblement, Andreessen Horowitz lui-même est tout à fait prêt à l’admettre.

« La crypto consiste à supprimer les gardiens. C’est cette spécificité qui la différencie des services Web traditionnels et lui permet de rester ouverte, neutre et juste. Les protocoles (…) évoluent au fil du temps, le contrôle se déplaçant vers l’extérieur à mesure que le réseau grandit. Au fur et à mesure, un nouvel ensemble de « gouverneurs de protocole » émerge pour prendre les rênes de l’équipe de développement d’origine. Fait correctement, cette nouvelle communauté est incitée à agir dans le meilleur intérêt du protocole. Et elle est suffisamment diversifiée pour que des intérêts concurrents puissent s’équilibrer. Cela permet au protocole de rester neutre mais agile, résistant au changement arbitraire et pourtant prêt aux mises à niveau nécessaires » – a16z

DeFi vs décentralisation – Un frein à son développement qui subit les attaques de la SEC

Raison pour laquelle il vient d’annoncer la mise en place d’un programme de délégation de ses pouvoirs de gouvernance. Ce dernier répondant au nom de « Open Sourcing Our Token Delegate Program » et adressé à certaines personnes de la communauté triées sur le volet. C’est-à-dire des acteurs de cet écosystème qu’il aura soigneusement sélectionnés afin de leur offrir cette puissance de vote. Cela dans le but de ventiler plus de 50% de cette force de frappe à d’autres entités distinctes. Et de faire d’Andreessen Horowitz l’un de ces tout premiers politiciens de protocoles à la tête du parti « politique » a16z.

L’émergence de « politiciens de protocoles »

Car ce que propose la structure a16z est tout à la fois intéressant, mais néanmoins très discutable. En particulier car la sélection effectuée sera basée sur une décision aussi unilatérale que nécessairement orientée à son avantage. Cela même si chacun de ces délégués est censé passer par une grille de validation identique. Et visiblement « libre de participer à la gouvernance comme bon lui semble ». Mais cependant sous une surveillance « occasionnelle » pouvant en annuler le renouvellement. Et qui sera très certainement à la hauteur de la quantité de jetons « suffisamment importante pour avoir un impact significatif sur la gouvernance » que sont censé détenir chacun de ces porte-jetons.

Vitalik Buterin – Trop de DeFi nuit au développement d’Ethereum

« En fin de compte, nous sommes de fervents partisans de la délégation et pensons qu’elle a un rôle important à jouer dans la gouvernance des protocoles. Notre espoir en publiant ce cadre est qu’il puisse servir de point de départ utile pour d’autres qui commencent à réfléchir à la délégation et à la manière de l’intégrer de manière réfléchie. À cette fin, nous encourageons la communauté à utiliser librement ce cadre, à le modifier, à le critiquer et, finalement, à offrir des commentaires pour l’améliorer. » – a16z

Une volonté qui a le mérite de reconnaître et de chercher à résoudre ce problème de la centralisation du pouvoir de gouvernance. Et qui pose les bases d’un modèle présenté comme en cours de développement. Cela afin de pouvoir conserver une décentralisation effective qui nécessite cependant d’être validée dans les faits. Car tout cela pourrait également n’être qu’une manière de diviser pour continuer à mieux régner. Un risque qui ne doit pas être trop rapidement écarté, même si rien de permet de l’affirmer pour le moment.

Un aspect réglementaire qui fait réfléchir

Car cette démarche mérite également d’être envisagée sous un angle plus réglementaire. Et qui pourrait n’être qu’une manœuvre d’Andreessen Horowitz pour ne pas risquer d’attirer l’attention de la Security and Exchange Commission (SEC). Son président actuel ayant récemment déclaré sa volonté de lancer une chasse aux développeurs de protocoles et autres amateurs de gouvernance de la DeFi. Car sa décentralisation l’empêche (encore) d’atteindre directement ses protocoles, toujours hors de sa portée répressive.

Le président de la SEC voit des titres financiers non déclarés partout partout partout…

Ce qui inscrirait cette initiative de la structure a16z dans quelque chose de bien plus politique que communautaire. Cela afin de pouvoir conserver un pouvoir décisionnaire identique en terme de quantité. Mais sans risquer de tomber dans les filets des instances de régulation à l’affût de ce genre de personnes un peu trop centrales. Car la délégation communautaire des protocoles de la DeFi ne doit pas devenir une occasion d’en reprendre un contrôle centralisé. Et c’est probablement – et paradoxalement – la SEC qui se pose à l’heure actuelle comme principal rempart face à ce genre de dérive. Quelle étrange ironie !

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