Des CBDCs à l’horizon 2023 ?

12 avril 2020 - 12:47

Temps de lecture : 4 minutes

Une analyste de la Deutsche Bank, Marion Laboure, émet l’hypothèse que les banques centrales du groupe des six pourraient créer des CBDCs d’ici 3 ans.

Une crise qui bouleverse le calendrier des CBDCs (Central Bank Digital Currency)

La crise sanitaire que nous traversons, imprévue par nature, pourrait, comme nous l’avons déjà évoqué, accélérer l’arrivée des CBDCs. L’échéance malgré tout n’est pas envisageable à court terme. En effet, les Banques centrales en sont encore à évaluer les risques et les enjeux liés à la technologie, à la sécurité et à la protection des données privées.

Le groupe des six banques centrales organisées en consortium depuis janvier 2020, devait d’ailleurs se réunir en avril pour mutualiser leur réflexion à ce sujet. Prévu avant l’invasion du Covid-19, on ne sait si le rendez-vous est maintenu. Néanmoins, un contexte économique dominé par de nouvelles mesures semble créer une situation d’urgence apte à favoriser l’éclosion d’une nouvelle infrastructure de paiement numérique.

Des mesures difficiles à mettre en place

La Commission européenne a dévoilé son programme SURE  qui dédie une enveloppe de 100 milliards d’euros pour des plans de soutien à l’emploi dans les pays membres. La Fed  quant à elle, compte distribuer des dollars à quelque 145 millions d’Américains, dans le cadre d’un programme de soutien de 2000 milliards voté à la fin de mars.

Sauf qu’injecter massivement des liquidités pour venir en aide aux particuliers n’est pas sans poser de problèmes. Certains ménages ne recevront rien avant septembre, selon un mémo interne du fisc américain – l’IRS, qui doit envoyer cet argent. L’image spectaculaire d’un hélicoptère larguant des billets, si elle vaut par sa simplicité, n’est pas en phase avec la réalité.Transférer de l’argent à un individu se révèle facile lorsqu’on possède ses coordonnées bancaires mais quid des populations débancarisées ? Pour le co-fondateur de la plateforme d’échange LGO, Hugo Renaudin, une CBDC serait le seul recours.

«Le gouvernement américain vit un cauchemar logistique pour pouvoir envoyer des chèques à des millions d’Américains dans le cadre de son plan de relance COVID-19. Avec l’argent programmatique, comme la CBDC, il devient très simple d’envoyer de l’argent à un grand nombre de personnes à la fois et de le récupérer. »

Des CDBCs pour répandre l’helicopter-money

Des CDBCs aideraient indéniablement à en rationaliser les processus par leurs atouts reconnus : vitesse des transactions et distribution en direct aux bénéficiaires. C’est l’argument-phare déjà émis en faveur d’un dollar numérique et que reprend Marion Laboure pour fixer une échéance à 3 ans.  Mais à part considérer que la crise sanitaire va s’éterniser ou que la monnaie hélicoptère puisse être une solution pérenne, ce qui n’est  ni envisageable ni souhaitable, les CBDCs arriveront donc après la bataille. Or, on peut supposer que les freins à leur usage réapparaîtront. Comme l’affirme Konstantinos Stylianou, professeur agrégé de droit et de réglementation de la concurrence à l’Université de Leeds.

«Le principal objectif des CBDCs n’a jamais été de créer un mode de paiement plus hygiénique, ni  d’être considérées comme des mécanismes de stabilité financière ou d’amélioration des liquidités, ce dont le monde a besoin aujourd’hui. Une fois que la pandémie (sera éradiquée), les réserves habituelles qui retenaient les CBDC reprendront. »

Surtout, en admettant même qu’une devise numérique apparaisse en ces temps troublés,  ce ne serait sans doute pas le moment le plus pertinent pour jauger  de son efficacité.

« Le système financier est dans un tel désarroi en ce moment que l’introduction d’un instrument financier sans précédent et non testé, vu comme risqué même en temps normal, ne serait ni prudent ni représentatif. »

Un groupement de Banques centrales qui s’active

Aussi, il est évident que les Banques centrales vont continuer à avancer prudemment, quitte à se faire doubler par des géants du paiement. On vient d’apprendre en effet que Washington va s’appuyer  notamment sur Paypal  pour distribuer ses prêts de relance aux petites entreprises.

Rien n’est joué  en revanche pour ce qui concerne les CBDCs de détail (celles qui s’adressent à tout le monde), les plus complexes à mettre en oeuvre mais aussi les plus attendues. Il est clair que, sous l’effet conjugué de la crise sanitaire et des recherches qui s’intensifient, les délais de mise en oeuvre vont vraisemblablement  se raccourcir. N’oublions pas qu’au départ, une dizaine d’années semblait nécessaire à  leur réalisation effective.

Alors, une CBDC  peut-elle être envisageable dans les trois ans comme l’affirme Marion Laboure. Peut-être. La Banque centrale de Suède a déjà lancé un test de son projet-pilote. Le Canada en a proposé un prototype. La Banque de France s’active sur sa CBDC de gros. Et les autres partenaires, Suisse, Royaume-Uni et Japon ne sont pas en reste pour proposer des solutions innovantes de paiement.

Un DCEP (Digital Currency Electronic Payment) imminent ?

Mais la première CBDC viendra probablement de Chine. L’ogre asiatique a préparé le terrain depuis longtemps et sa Banque centrale vient de déclarer que le renminbi numérique figurait parmi ses « priorités absolues ». Il ne serait donc pas surprenant  qu’on le voit apparaître dans les mois qui viennent.

Mais on sait aussi que dans ce cas, la CBDC à la chinoise, DCEP pour être précis, ne sera pas représentative d’une monnaie numérique de Banque centrale.  Elle sera surtout exemplaire de l’habileté de Xi Jinping à imposer un système de surveillance globale. Le DCEP devenant l’instrument « suprême » des dérives autoritaires d’un régime qui aura profité de la peur provoquée par la crise sanitaire pour mettre en scène son solutionnisme technologique et imposer en toute logique un système de paiement « safe ». Le principe hygiénique devenant par la force des choses l’argument d’autorité susceptible de faire passer n’importe quelle pilule.

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