Instrumentalisation du Covid-19 pour nuire à la cryptographie

23 mars 2020 - 14:04

Temps de lecture : 4 minutes

Le chiffrement, bête noire des autorités, est de nouveau sur la sellette. Accusé de tous les maux, notamment en matière de terrorisme ou de pédocriminalité, le voilà de nouveau menacé par les contempteurs de la liberté individuelle qui, après Telegram et Facebook, s’en prennent cette fois au réseau WhattsApp. Le media, appartenant au groupe de Marc Zuckerberg, est accusé de propager de fausses informations concernant le Covid-19.

WhatsApp, le virus de la désinformation

Avec plus de 1,5 milliard d’utilisateurs actifs, WhatsApp fait partie des applications les plus populaires. Utilisée pour faciliter les conversations privées, l’application de messagerie peut aussi être exploitée à des fins moins conviviales. En effet, le dernier rapport de l’Institut Reuters indiquait que la proportion d’individus utilisant l’application pour lire ou partager des informations sur l’actualité était très faible dans de nombreux pays occidentaux, contrairement à l’usage qui en est fait dans certains pays émergents. Mais, il semblerait que, sous l’effet du fléau sanitaire que nous connaissons, considérer WhatsApps comme une source d’infos fiables augmente en proportion de l’inquiétude et de la défaillance de la parole du politique.

Ainsi, la plateforme serait devenue un support idéal pour diffuser tout autant de bonnes informations de prévention (les gestes-barrière) que des infos plus fantaisistes (boire de l’eau chaude toutes les 15 minutes), ou carrément douteuses sur des conseils d’auto-médication ou de rumeurs délétères («Attention, cinq hélicoptères vaporiseront ce soir du désinfectant pour lutter contre le coronavirus»). Désinformation qui n’est pas forcément recherchée mais captée de façon passive – quand on fait partie d’un groupe WhatsApp, on en reçoit tous les messages – par l’intermédiaire d’un parent ou d’un ami qui lui-même la détient d’une connaissance qui connaîtrait l’amant du médecin qui lui a dit que.

Fake news, un fléau en temps troublé 

Le phénomène aurait pris une telle ampleur que des dirigeants s’en mêlent. A l’instar du premier ministre irlandais qui exhorte ses concitoyens à consulter les sites officiels plutôt que WhatsApp pour s’informer.

De grands réseaux sociaux (Facebook, Google, LinkedIn, Microsoft, Reddit, Twitter et YouTube) ont pris la mesure du danger. Ils ont publié le lundi  16 mars une déclaration commune dans laquelle ils promettent de lutter contre  la désinformation  par l’adoption de mesures exceptionnelles, WhatsApp ne figure pas parmi les signataires. Se comparant plus volontiers aux services de SMS traditionnels qu’à un média social,  la messagerie chiffre ses conversations pour en garantir la confidentialité. Seuls l’expéditeur et le destinataire y ont accès. Elle ne peut donc décider de ce qui peut ou pas être envoyé dans un message en temps réel.

Néanmoins, la plateforme a décidé d’offrir des gages de bonne volonté en multipliant les initiatives pour juguler la propagation de fake news. Elle invite aussi au dialogue entre experts médicaux et citoyens directement sur son application en s’associant à l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), pour la mise au point d’un chatbot visant à prodiguer de bons conseils. Ses efforts seront-ils suffisants pour résister à la pression des autorités ? Rien n’est moins sûr au moment où s’avance l’ombre menaçante de la censure.

La censure en marche

On la sent arriver et notamment aux Etats-Unis. En effet, mercredi dernier, la première audition publique sur le projet de loi Earn it act a eu lieu, cherchant à reproduire à bien des égards le Patriot Act qui avait été hâtivement adopté à la suite du 11 septembre. Pendant que le monde entier se mobilise autour des ravages d’un virus virulent, le Congrès américain a commencé à examiner la loi sur  » l’élimination des négligences abusives et incontrôlables des technologies interactives ».

Plus clairement, il s’agit de créer une «Commission nationale sur la prévention de l’exploitation sexuelle des enfants en ligne» chargée d’élaborer de «meilleures pratiques» pour les propriétaires de plateformes Internet. Le but étant de «prévenir, réduire et répondre» à l’exploitation des mineurs. Ce ne serait pas de simples recommandations mais des exigences légales. De fait, si une plateforme ne les respectait pas, elle perdrait les protections juridiques essentielles à la liberté d’expression.

En effet, pour supprimer cette immunité, il faudrait que le Congrès revienne sur l’article 230 de la loi américaine “Communications Decency Act“. Meilleur rempart de protection de la liberté d’expression en ligne puisqu’il stipule que les sites Web ne sont pas responsables du contenu soumis par les utilisateurs. Si le Earn it Act était adopté, la loi rendrait les fournisseurs de chiffrement responsables du contenu téléchargé par les utilisateurs «dangereux» ou «illégal» et accorderait aux gouvernements l’accès aux données utilisateur chiffrées.

On peut aussi trembler en pensant que ces « bonnes pratiques » seraient déterminées par un petit comité de 19 membres présidé par un procureur général, William Barr, qui n’a jamais fait mystère de son ignorance en matière de cryptographie  tout en luttant pour la levée de la confidentialité qu’il accuse de tous les maux.

Les portes dérobées du covid-19

Après la menace terroriste et pédophile, l’engeance sanitaire à laquelle nous sommes brutalement confrontés pourrait devenir le prétexte majeur pour ouvrir des portes dérobées au système de cryptographie. Or, en exigeant des backdoors au chiffrement sous prétexte de choisir la sécurité au détriment de la confidentialité, les politiques ouvrent la boîte de Pandore  et nous exposent tous à une plus grande vulnérabilité maintes et maintes fois soulignée par les experts en cryptographie.

Mais en ces temps étranges vécus là, ensemble, de loin, on peut penser au meilleur tout en présageant du pire. Et ne pas être dupe de la fourberie de nos dirigeants qui pourraient profiter d’une situation inédite pour restreindre notre espace de liberté sur le web, sous le prétexte mille fois ressassé de nous protéger.

Or, nous ne sommes pas qu’une masse d’abrutis incapable de distinguer ce qui relève de la raison et ce qui ressort de la manipulation. Certes, une parole officielle brouillée pleine de messages et de mesures contradictoires est le terreau fertile du crétinisme ou de la crédulité. Mais la misère de l’impréparation,  coûteuse déjà en termes de libertés individuelles ( et on n’ose évoquer le bilan humain qui s’alourdit de jour en jour), place les politiques en mauvaise posture pour nous donner des leçons. Le réflexe inique de nos dirigeants, mettant en cause notre bêtise, notre inconséquence et notre incivisme  pour dissimuler leurs propres errements, est difficilement entendable mais n’empêchera pas, comme on l’observe dans les régimes autoritaires, la tentation de brider notre liberté de parole.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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