Le dollar numérique veut aussi sa consultation citoyenne
25 février 2021 - 16:58
Temps de lecture : 4 minutes
Par Nathalie E.
De nombreux pays au cours de l’année écoulée se sont mis à fomenter un modèle de devise souveraine 2.0. Autrement dit, un habillage numérique pour une monnaie centralisée et régulée, connue dorénavant sous l’appellation de CBDC. Dans cette course enfiévrée des Etats, l’un d’entre eux s’est montré particulièrement rétif à cette mise en oeuvre, adoptant une position attentiste : les Etats-Unis. Or, il semblerait que renonçant à sa posture nonchalante en ce domaine, la banque centrale américaine (FED) accélère la cadence sous l’oeil plutôt bienveillant de la nouvelle secrétaire du Trésor.
Les Etats-Unis à la traîne
La banque centrale américaine n’a jamais manifesté un enthousiasme débordant quant à l’émission d’un dollar numérique. Alors qu’ailleurs dans le monde, l’idée de CBDC (Central Bank Digital Currency) ou de MNBD (Monnaie Numérique de Banque Centrale) à la mode francophone s’insinuait partout, générant âpres discussions, recherches multiples et, dans la foulée, nombre d’expérimentations, la Réserve fédérale américaine ne s’est engagée dans le débat que tardivement. Rechignant longtemps à considérer une version technologique du dollar comme primordiale pour le futur de ses paiements. Si elle semble depuis avoir pris le train en marche et se pencher dorénavant sérieusement sur l’émission d’une CBDC, ça n’a pas été sans mal.
Il aura d’abord fallu un contexte national compliqué lié à la pandémie et aux ratés de l’helicopter-money pour que s’impose très progressivement l’idée d’un dollar numérique. Puis, pour qu’advienne celle d’une « vraie » CBDC, il aura aussi fallu compter sur un contexte international offensif sur la question. De plus en plus de conseillers, experts et élus démocrates comme républicains ont commencé à s’alarmer de l’apathie américaine face à la numérisation des devises nationales un peu partout dans le monde, notamment en Chine avec un DCEP (Digital Central Electronic Payment) quasiment prêt à être lancé officiellement. Leur inquiétude portant non tant sur l’affaiblissement du dollar en tant que réserve de valeur que sur le dollar en tant que monnaie-reine dans les échanges commerciaux internationaux avec un système SWIFT omniprésent.
Un Jerome Powell toujours prudent
S’exprimant devant le comité de la Chambre sur les services financiers, Jerome Powell, a fait une mise au point sur les développements d’un dollar version 2.0. Le sourcilleux patron de la FED reste néanmoins très prudent.
Nous examinons attentivement, très attentivement la question de savoir si nous devons émettre un dollar numérique…Il y a d’importantes questions à la fois techniques et politiques liées à la manière dont nous procéderions. »
Il a cependant annoncé pour la première fois un calendrier au développement d’un e-dollar, qualifiant l’année 2021 d’importante. La grande nouveauté étant l’annonce d’une consultation publique sur le sujet. Sans doute un peu à la manière du modèle de celle lancée par la banque centrale européenne (BCE) sur l’euro numérique.
Peu après l’intervention du président de la Fed, ses services ont en effet publié un document décrivant les possibles orientations de cette consultation.
Le dollar numérique veut sa consultation citoyenne
Et on y retrouve, bien sûr, des items tentant de balayer largement les problématiques engendrées par cette nouvelle incarnation monétaire. A savoir, les questions de confidentialité, de facilité d’utilisation, d’accès à la sécurité et de mécanismes de livraison (avec ou sans intermédiaire ; banque centrale ou banques commerciales, blockchain ou pas…).
Et le public visé doit être, comme dans le cas de la BCE, aussi varié que possible. Particuliers et entreprises seront sollicités pour contribuer à donner leur opinion sur l’élaboration éventuelle d’un dollar numérique mais aussi les professionnels des secteurs de la finance et de la technologie. Eux auront droit à des questions plus ciblées sur la réglementation, le fonctionnement et les solutions techniques. Le but étant, à partir d’un échantillon à large spectre de la population, d’affiner une proposition complexe à mettre en oeuvre qui nécessite l’adhésion du plus grand nombre pour réussir. En effet, une CBDC pourrait accorder à la banque centrale un accès «sans précédent» aux activités financières de ses utilisateurs si elle était conçue pour permettre aux «informations de transaction les plus infimes» de transparaître.
Ce lien étroit entre l’argent et les données contraste avec les billets de banque physiques, qui ne contiennent pas de données de transaction pouvant être liées à une personne spécifique et à leur historique de transactions financières. »
Note de la Feds
Aussi, sans un consentement plus ou moins éclairé des citoyens, une monnaie numérique de banque centrale serait quasiment morte-née ou ne bénéficierait que d’une utilisation marginale, détournée par exemple comme valeur de réserve.
Un dollar numérique en bonne voie ?
Les précautions et tergiversations de la FED sont à la mesure des enjeux. Mais le soutien à l’idée et à la réalisation d’un dollar numérique devient de plus en plus prégnant. Ainsi, la nouvelle secrétaire au Trésor, Janet Yellen, à la différence de son prédécesseur Steve Mnuchin, se montre plutôt favorable. Elle a déclaré cette semaine qu’il était logique que les banques centrales envisagent d’émettre leurs propres monnaies numériques sous l’argument largement rebattu de l’inclusion financière.
Trop d’Américains n’ont pas accès à des systèmes de paiement et des comptes bancaires faciles. Je pense que c’est quelque chose qu’un dollar numérique, une monnaie numérique de banque centrale, pourrait résoudre.»
Janet Yellen, conférence du New York Times, le 22/02/2021
Un signe qui ne trompe pas quant à l’émergence prochaine d’un dollar numérique, c’est qu‘à l’image de ses homologues européens, la nouvelle venue cible Bitcoin dont la popularité croissante constitue une menace pour l’adoption d’une « cryptomonnaie » d’Etat.
CBDC à l’horizon, Bitcoin dans le viseur
Une popularité qui est sans nul doute une réaction à la politique monétaire désastreuse des banques centrales qui font chauffer la planche à billets (quantitative easing). Le PDG de MicroStrategy, première société cotée à avoir investi massivement dans le BTC, image parfaitement le lien de cause à effet. S’il a voulu exposer une partie, devenue majoritaire, de sa trésorerie au Bitcoin, c’est parce qu’il refusait, dit-il, que son entreprise soit assise sur un « glaçon fondant de 500 millions de dollars ». Une conviction qui a fait son chemin et qui a poussé nombre d’autres géants cotés en Bourse (Tesla, Square, MassMutual…) à choisir l’option Bitcoin en signe de défiance face à un dollar dévalorisé, dévalué.
Et on ne parle pas des banques de dépôt, comme BNY Mellon, qui sentant le vent tourner face à l’émergence probable d’une monnaie numérique de banque centrale se tournent elles aussi vers le Bitcoin pour s’assurer de nouveaux moyens de subsistance.
Outre ses premières saillies qui l’associaient indûment au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme, Janet Yellen en a donc remis une couche lors de sa dernière intervention. Elle a ainsi affirmé lors de l’événement organisé par le New York Times que c’était « un actif hautement spéculatif» extrêmement inefficace pour les transactions. Mal lui en a pris au vu de l’actualité. En effet, le réseau de paiement de la Réserve fédérale américaine a connu une panne monumentale, entraînant une interruption de service dans de nombreux secteurs d’activité.
Nul besoin de ridiculiser le système en place et ses tenanciers, tenancières, pour valoriser Bitcoin, ils et elles s’en chargent déjà très bien…
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