Le fisc américain braque ses projecteurs sur les cryptos

23 août 2020 - 12:42

Temps de lecture : 4 minutes

L’IRS (Internal Revenue Service) mobilise son attention sur les amateurs de cryptomonnaies. Dans la nouvelle mouture de la déclaration fiscale, les citoyens américains devront répondre de leurs échanges en cryptomonnaies dès la première page du formulaire.

L’inquisition en première page

La question arborée sur l’incipit du brouillon du formulaire 1040, se lit comme suit : «À tout moment en 2020, avez-vous reçu, vendu, envoyé, échangé ou autrement acquis un intérêt financier dans une monnaie virtuelle?». Aussi intrusive soit-elle, cette question préliminaire existait déjà dans la déclaration 2019. Mais, plutôt fondue dans la masse des informations à divulguer. Le fait qu’elle ne soit plus reléguée à une annexe distincte est un signe de l’attention croissante portée par les pouvoirs publics sur l’investissement crypto.

On peut penser que ce sont les rumeurs, notamment colportées par Coinbase, qui ont déclenché la soudaine visibilité d’actifs jusque là plutôt considérés par l’administration américaine comme quelque peu négligeables. En effet, l’échange américain a argué du fait que les aides de l’Etat – d’un montant de 1200 $ – pour pallier les effets économiques délétères du Covid-19, avaient en partie atterri sur sa plateforme, les heureux bénéficiaires ayant peut-être perdu la foi dans le dollar américain… Plus vraisemblablement, voulant se protéger de l’inflation, des citoyens non nécessiteux ont pensé à placer l’obole céleste dans un actif déflationniste.

Un contexte de surveillance favorisé

A titre informatif, le premier chèque de 1200 $ envoyé en mars vaudrait aujourd’hui 2200 $ s’il avait été échangé dans la foulée contre du BTC.

La pratique a sans doute été marginale, mais c’est néanmoins un argument supplémentaire pour accroître la pression sur un écosystème qui connaît un essor indéniable.

Et redoubler le contrôle, notamment sur demande expresse d’un président Trump qui aurait fermement encouragé le Département du Trésor à « s’attaquer au Bitcoin », selon les mots de l’ancien conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche, John Bolton. Là encore, si on ne peut vérifier la véracité de l’injonction d’un va-t-en guerre coutumier de propos à l’emporte-pièce, on sait que Trump n’a pas caché son hostilité à l’encontre du Bitcoin. Avec la subtilité qui le caractérise, lui déniant une quelconque utilité monétaire, Il lui reproche de faciliter le trafic de drogue et les activités illégales.

Bon, quoiqu’il en soit d’un contexte national plutôt difficile où le roi dollar perd un peu de sa prééminence, l’IRS est bien dans son rôle de surveillance.

Internal Revenue Service (IRS)

Tous les moyens sont bons pour contrôler les détenteurs de crypto

Il a d’ailleurs été l’une des premières juridictions des États-Unis à s’intéresser au Bitcoin. Dès 2014, il a publié un premier guide sur les crypto-monnaies et leur traitement fiscal. En 2017, il a commencé à rechercher des informations sur les utilisateurs de Coinbase qui avaient opéré des transactions de plus de 20 000 $. Enfin, le service des impôts a confirmé, en juillet 2019, qu’il formait son personnel au suivi des cryptomonnaies, n’hésitant pas à scruter à la loupe, par le biais de recherches sur les réseaux sociaux et de la surveillance électronique, les comportements des contribuables détenteurs d’actifs numériques. Des agents spéciaux de la Division des enquêtes criminelles s’y consacreraient.

Une nouvelle étape serait franchie depuis peu. Provoquant un tollé dans la cryptosphère, l’IRS utiliserait dorénavant Coinbase Analytics pour traquer les utilisateurs de coins de confidentialité. On n’arrête apparemment ni le progrès ni la tentation de collaborer avec les autorités.

Aujourd’hui, la question est de savoir si l’instance gouvernementale n’outrepasse pas les limites par l’usage d’une interrogation trop intrusive.

Un formulaire inconstitutionnel ?

Pour certains experts fiscalistes, la réponse est clairement oui comme pour d’ardents défenseurs de la crypto, comme Justin Winston Ono Wales qui se présente comme tel.

https://twitter.com/WinstonOnoWales/status/1296573447082872832?s=20

De son point de vue, la question de l’IRS est beaucoup trop large et devrait être contestée. Il a longuement développé son plaidoyer sur twitter.

«Si vous êtes payé en crypto, vous devez le déclarer comme salaire. Si vous avez réalisé des gains grâce à un investissement cryptographique, vous devez le déclarer comme un gain de plafond. Mais constitutionnellement, le gouvernement ne doit pas savoir si vous avez acheté, reçu ou acquis de la crypto, car la crypto n’est pas seulement de l’argent … les chaînes publiques comme Bitcoin nécessitent une monnaie native ( BTC ) pour accéder à son réseau. BTC, c’est de l’argent solide, mais aussi bien plus. »

Une gestion délicate et sujette à critiques

L’administration fiscale américaine marche sur des oeufs

On le sait, les cryptomonnaies sont un sujet complexe. D’un point de vue fiscal, c’est un vrai casse-tête, d’autant plus qu’elles peinent à obtenir un statut clair et précis et que l’administration ne peut suivre les innovations incessantes d’un écosystème bouillonnant et créatif. On attend de voir la réglementation qui va cadrer les jetons de la DeFi… Mais au-delà d’un univers dont les arcanes sont difficiles à appréhender, on observe que la tentation des Etats est souvent d’attenter à la liberté de ses administrés. La comparaison établie par Justin Winston Ono Wales est à cet égard assez éloquente. Il assimile la demande faite aux résidents américains de déclarer toutes les cryptomonnaies de même nature que si on exigeait d’eux la déclaration de toutes leurs adresses e-mail ou de leurs identifiants de médias sociaux.

Le formulaire IRS mis à jour ne vous demande pas de répertorier (encore) vos avoirs cryptographiques, mais de déclarer si vous avez reçu ou vendu des crypto-monnaies dans l’année, quelle qu’en soit la raison. Cette information dépasse la portée des informations dont l’IRS a besoin pour faire son travail.

Justin Winston Ono Wales, twitter

Rappelons qu’en 2019, l’IRS avait déjà fait preuve d’un zèle peu commun en adressant 10000 lettres, sur la base d’informations fournies par les échanges, à des contribuables soupçonnés de ne pas avoir réglé les taxes afférentes à leurs transactions en crypto. Cette initiative est aujourd’hui au coeur d’un litige judiciaire. Le Taxpayer Advocate Service, une organisation indépendante au sein de l’IRS, affirmant notamment que ces lettres ont bafoué les droits des contribuables.

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