Le lobbying crypto monte en puissance aux Etats-Unis face aux menaces réglementaires
07 avril 2021 - 14:59
Temps de lecture : 4 minutes
Par Nathalie E.
Le pragmatisme anglo-saxon qu’on caricature parfois jusqu’à l’outrance a du bon. En matière de cryptomonnaies, il permet de faire progresser l’écosystème en dépit des freins ou des hésitations réglementaires. Et si le régulateur se montre trop empressé à envisager des mesures drastiques, il trouve à qui parler sur sa route. Un nouveau lobby crypto réunissant des acteurs de poids vient de se constituer. Pendant ce temps-là, en France, la cryptosphère s’époumone dans le vide. Le régulateur sourd aux arguments de bon sens vient de prendre des dispositions susceptibles de réellement étouffer les vaillants combattants qui résistaient encore.
La montée en puissance de l’industrie crypto alarme les régulateurs
L’industrie crypto se porte plutôt bien en ce début d’année 2021. La capitalisation globale des cryptomonnaies vient de dépasser les 2000 milliards de dollars. 10 ans pour atteindre le seuil des 1000 milliards de dollars, 3 mois pour le doubler. Trop ? Sans doute du point de vue du régulateur. Des rumeurs insistantes lui prêtent la volonté de venir perturber la croissance du secteur par l’adoption de mesures sévères. Et ce n’est pas qu’une vue de l’esprit. La rhétorique anti-crypto portée par les décideurs politiques a refleuri depuis quelques temps avec une insistance trop manifeste pour ne pas être annonciatrice d’un virage réglementaire à tendance répressive.
On en veut pour preuve le fait que les refrains entonnés par les uns et les autres reposent sur des allégations fausses qui pourraient être facilement corrigées en prenant la peine de consulter les dernières études chiffrant aussi précisément que possible la part des cryptos dans le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent, à savoir moins de 1% des activités criminelles. Mais le but de la nouvelle secrétaire au Trésor américain Janet Yellen, du ministre des finances et de l’économie Bruno Le Maire ou de la présidente de la banque européenne Christine Lagarde (liste bien sûr non exhaustive) n’est visiblement pas de relayer des informations justes et vérifiées. L’objectif visé est plutôt d’instiller un sentiment de méfiance vis à vis d’un écosystème encore très mystérieux pour la majorité des gens et de légitimer a priori les mesures coercitives qui vont être prises.
Les acteurs de l’écosystème à la riposte
Face à cette levée de boucliers des tenants d’un ordre monétaire en bout de course, les acteurs de l’écosystème crypto s’organisent un peu partout dans le monde et luttent pied à pied, comme dernièrement en Inde ou en Thaïlande, pour éviter la promulgation de lois iniques. En France, des courageux aussi se battent pour une régulation mesurée avec le bonheur que l’on connaît. Mais, c’est évidemment aux Etats-Unis que les groupes de pression crypto pèsent le plus lourd. Et maintenant que les institutionnels sont massivement entrés dans la danse, ils comptent bien peser dans la balance.
Ainsi, de gros acteurs comme Fidelity Digital Assets, Square, Paradigm et Coinbase viennent de constituer une alliance pour mieux interagir avec les responsables aux manettes. Le groupe baptisé « Crypto Council for Innovation » (CCI) vise à faciliter un dialogue constructif avec les gouvernements à l’échelle mondiale.
CCI soutient les gouvernements et les institutions du monde entier dans leurs efforts pour façonner et encourager une réglementation responsable de la cryptographie de manière à libérer le potentiel et à améliorer la vie.»
Communiqué de la CCI
L’objectif déclaré étant de faire disparaître les perceptions erronées pour faire parler les faits et par-là même, prouver le potentiel des cryptomonnaies en matière de croissance économique, de création d’emplois et d’inclusion financière.
Un lobbying qui se développe
Elément essentiel du paysage politique américain, le lobbying crypto n’en est pas à ses premières armes à Washington. La Blockchain Association, pionnière en la matière, vient de voir son groupe s’étoffer, le portant à 34 membres. Elle a par le passé distribué quelques satoshis (plus petite division du Bitcoin) aux membres du Congrès pour qu’ils s’initient empiriquement au maniement de la première cryptomonnaie.
Dans un registre tout aussi pédagogique, CoinCenter, une organisation à but non lucratif, oeuvre pour éduquer les décideurs politiques au fonctionnement de cet écosystème. Soutenu financièrement par des plateformes comme Kraken ou des géants de l’investissement crypto comme Grayscale, son intention est de venir contrarier la pente dangereuse qui se profile de lois émises en toute ignorance, en formant les autorités à la complexité de cet univers aux paradigmes innovants. L’éducation étant, pour reprendre les mots de Michael Sonnenshein, PDG de Grayscale, « le grand chaînon manquant de la crypto ».
Une régulation à la lumière des experts ?
On sait que le contexte actuel est à un renforcement de la régulation en matière de cryptomonnaies. Une réglementation dont la nécessité elle-même ne se discute pas pour soutenir l’expansion de l’industrie. Mais qui pose question et interpelle quand on sait que la routine du régulateur consistant à dénigrer Bitcoin ne relève pas seulement de l’ignorance ou de la paresse. Elle est avant tout le ressort d’une intention délibérée : étouffer l’avancée irrésistible d’une création monétaire qui échappe aux Etats. Alors, et même si la réflexion institutionnelle a progressé, les tenants de l’ordre mondial étant désormais convaincus par les vertus des monnaies numériques, on peut toujours s’attendre au pire.
Car, s’ils ne se privent plus aujourd’hui d’en énumérer le chapelet des bénéfices : simplification de l’infrastructure de paiement, réduction des coûts, inclusion financière… c’est pour mieux endormir leur monde. Chaque pays fomentant à son rythme un modèle de devise souveraine 2.0. Autrement dit, un habillage numérique pour une monnaie centralisée et manipulable à loisir, connue dorénavant sous l’appellation CBDC (Central Bank Digital Currency) ou MNDB en français (Monnaie Numérique de Banque Centrale), et qui risque de connaître peu ou prou les mêmes dérives que le système traditionnel.
A quoi s’attendre ?
Le Bitcoin reste donc la bête noire des régulateurs et sa capitalisation croissante ne peut que les alarmer davantage. Tout autant la ferveur institutionnelle que dorénavant il suscite, mais qui risque toutefois de freiner leur ardeur à sévir trop rudement.
Ce n’est qu’une fois en retrait des postes de pouvoir, si on se fie aux interventions récentes de deux anciens ministres, qu’ils peuvent reconnaître ses attributs singuliers (rareté et décentralisation). Ou en amont. A cet égard le changement de posture de Christine Lagarde est tout à fait éloquent. Plutôt ouverte à la nouveauté apportée par Bitcoin and co avant son accès à la présidence de la BCE, la voilà maintenant qui joue, par tactique, à la grande prêtresse de la peur, feignant d’ignorer leur apport pour pousser des cris d’orfraie destinés à effrayer le citoyen distraitement à l’écoute d’une voix autorisée.
Quoi qu’il en soit, le couperet de la régulation va tomber tôt plutôt que tard. Une interdiction pure et simple ne semble pas envisageable. Le Bitcoin, par nature décentralisé et incensurable, y survivrait, mal, puis s’en remettrait. En revanche, l’entrave est peut-être au bout du doigt accusateur. Le Groupe d’action financière (GAFI) a quelques propositions concrètes en ce sens et on peut compter sur la France pour servir de modèle. L’inénarrable « blockchain-nation » selon l’ambition formulée par un ministre zélé vient d’adopter de nouvelles dispositions aptes à étouffer définitivement un écosystème déjà exsangue.
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