Le péril Silvergate fait tanguer l’industrie crypto
La situation inquiétante de l’une des principales banques du secteur crypto, Silvergate Capital Corp, a probablement contribué à la chute de BTC et consorts pendant les heures de négociation en Asie de l’Est. Ayant retardé le dépôt de son rapport annuel auprès de la SEC et peinant de son propre aveu, à se conformer à l’examen réglementaire auquel sont soumis les institutions bancaires en lien avec l’industrie crypto, la société souffle un vent mauvais sur un secteur déjà très éprouvé par des faillites en cascade.
03 mars 2023 - 13:28
Temps de lecture : 5 minutes
Par Nathalie E.
La plupart de ses acteurs majeurs ont rapidement pris leurs distances avec la banque Silvergate, affirmant cesser toute coopération avec une entité jusque-là incontournable dans leur modèle de fonctionnement. Mais cette communication d’urgence, devenue un passage obligé depuis l’effondrement spectaculaire de FTX, ne présage en rien de la suite des événements. La fragilité de certaines structures pourrait se révéler au grand jour par la mauvaise grâce de cet énième épisode calamiteux.
Silvergate au bord du gouffre
Silvergate était sous haute surveillance depuis la faillite de BlockFi auxquel elle était exposée, semant le doute sur sa solvabilité. Des doutes qui aujourd’hui semblent se confirmer, la société cheminant au bord du gouffre.
En effet, la banque a annoncé qu’elle retardait pour la première fois un dépôt 10-K auprès de la Securities and Exchange Commission, après avoir procédé à des ventes d’actifs de dernière minute (5,2 milliards de dollars de titres de créance) pour rembourser un solde impayé sur son prêt de 4,3 milliards de dollars auprès de la Federal Home Loan Bank qu’elle avait contracté pour faire face à l’avalanche de retraits suite à l’effondrement de FTX. Pour rappel, la banque a perdu 1 milliard de dollars au cours du dernier trimestre de 2022, un chiffre qui pourrait être révisé à la hausse, et a toujours des obligations de remboursement de prêt supplémentaires – ce qui signifie qu’elle pourrait bientôt selon ses propres termes , être « moins que bien capitalisée ».
Les perspectives s’annoncent donc plutôt sombres et ses nombreux partenaires dans l’industrie crypto fuient le navire-amiral qui prend l’eau.
Les acteurs crypto coupent le lien avec Silvergate
La litanie de noms s’allonge d’heure en heure. Du côté des plateformes d’échange : Coinbase prônant la plus « grande prudence », « à la lumière des événements récents » a tweeté qu’elle ne faciliterait plus les paiements en utilisant Silvergate. Crypto.com et Gemini ont déclaré que les dépôts et retraits via la banque ont été temporairement suspendus, tandis que Bitstamp a révélé dans un article de blog migrer ses opérations vers son grand rival, Signature Bank. Seule exception notable : l’exchange Kraken qui a réduit sa dépendance au concurrent de Silvergate pour certaines opérations clés depuis qu’il a banni les transactions SWIFT inférieures à 100 000 dollars, et qui reste flou sur son positionnement bancaire.
Kraken maintient un ensemble diversifié de partenaires bancaires et de pratiques de gestion de trésorerie pour s’assurer que les clients peuvent toujours déposer et retirer de leurs comptes. Nous surveillons activement les préoccupations concernant Silvergate.
Kraken sur Twitter
Quant à Binance, étrangement discret, il n’aurait supposément aucun partenariat avec Silvergate et n’utiliserait pas les services de la banque crypto.
Du côté des émetteurs de stablecoins, Tether (USDT) comme à son habitude, s’affirme non exposé à l’institution en déroute. En revanche Circle (USDC) admet des liens, mais qu’il serait en train de dénouer. Paxos, sous les feux de l’actualité avec son BUSD, a indiqué qu’il avait également interrompu les transferts vers son compte avec Silvergate, ajoutant qu’il « continuerait à traiter tous les paiements sortants ».
Chez les institutionnels, la fracture s’énonce aussi. La plateforme de trading Cboe Digital a révélé qu’elle « suspendait toutes les transactions » avec la banque Silvergate tandis que la société d’investissement de Mike Novogratz, Galaxy Digital, a également tranché dans le vif.
Enfin, MicroStrategy, l’entreprise aux 130 000 bitcoins, qui a reçu un prêt de 205 millions de dollars de Silvergate en mars 2022, a déclaré sur Twitter que les conditions de remboursement ne dépendaient pas du sort de la banque.
Un contexte réglementaire qui se resserre
Les malheurs de Silvergate ne sont bien sûr pas le fruit du hasard. Ils étaient même plutôt prévisibles à partir du moment où la banque, comme son homologue Signature, a contracté des prêts auprès d’un programme fédéral initialement mis en place pour soutenir les prêts hypothécaires.
Des prêts dont se sont inquiétés les sénateurs américains Elizabeth Warren, Roger Marshall et John Kennedy, soupçonnant Silvergate d’avoir joué un rôle dans la transmission illégale de fonds d’utilisateurs FTX à Alameda Research via les comptes de la société commerciale auprès de la banque. Le ministère américain de la Justice a d’ailleurs ouvert une enquête à ce sujet.
Le Congrès et le public ont besoin et méritent les informations nécessaires pour comprendre le rôle de Silvergate dans l’effondrement frauduleux de FTX, en particulier compte tenu du fait que Silvergate s’est tourné vers la Federal Home Loan Bank comme prêteur de dernier recours en 2022.
Nonobstant le fait que Bitcoin a été créé pour se distancer notamment des pratiques délétères à l’oeuvre dans la finance traditionnelle, à partir du moment où des banques sont entrées dans le game puisque les intermédiaires centralisés de l’industrie avaient besoin de comptes bancaires pour mener leurs affaires, le chemin emprunté devenait périlleux. Ce n’est pas pour rien que les régulateurs ont tiré la sonnette d’alarme sur cette relation « contre-nature » et ont haussé le ton ces derniers temps.
Mais comme déjà observé quand il s’agit de crypto, ils ne se sont pas poussés du col pour intervenir avant la catastrophe annoncée.
A la différence des investisseurs de renom qui eux n’ont pas attendu cette dernière séquence désastreuse pour retirer leurs billes d’une entreprise en plein naufrage. Ainsi en janvier, Cathie Wood d’Ark Invest, a cédé 99 % des avoirs Silvergate tandis que le fonds spéculatif du trader milliardaire George Soros a pris une position de plus d’un million de dollars de vente à découvert. L’action qui se négociait déjà loin de son apogée, a encore plongé suite aux dernières nouvelles.
Silvergate : de l’audace à la déroute
Il est encore trop tôt pour mesurer tous les conséquences et dommages que vont entraîner les difficultés de Silvergate sur les sociétés crypto. Elles ont beau toutes minimisé leur exposition, les retombées risquent d’être sanglantes. Car si elle est devenue aujourd’hui le mouton noir, la banque qui a commencé en 1988 comme petit prêteur communautaire à la Jolla en Californie en misant sur l’immobilier, a été l’une des seules, dès 2013, à faire le pari audacieux des cryptos et à en devenir de fait une actrice incontournable. L’entreprise a permis à des exchanges notamment, d’accéder à des services bancaires de base que tous leur refusaient alors aux Etats-Unis.
En conséquence, Silvergate s’est rapidement développé, consolidant sa position en introduisant un système de paiement en temps réel (SEN) 24/24 pour une classe d’actifs comme les cryptos qui se négocient sans interruption.
Devenue publique en 2019, le cours de ses actions a prospéré en même temps que le cycle haussier du marché des cryptos, passant de 12 $ à plus de 200 $. Mais les bonnes choses ne durant qu’un temps, elle a comme les autres sociétés liées au secteur subit les ralentissement d’un hiver particulièrement rigoureux, scandé par des faillites en cascade dont sans doute la plus retentissante, celle de FTX qui était un de ses clients les plus importants.
La suite, on la connaît, du moins son écume. Seules les semaines et les mois à venir feront sortir les cadavres du placard, d’autant que l’autre banque vers laquelle se tournent les acteurs crypto n’est pas non plus à l’abri des tourmentes. Le directeur d’exploitation de Signature Bank avait d’ailleurs déclaré en décembre, sentant le vent tourner (FTX faisait aussi partie de ses clients), que sa banque « n’était pas seulement une banque cryptographique » et qu’il fallait que cela se sache.
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