Les monnaies numériques des banques centrales sonnent-elles le glas de la protection de la vie privée ?

12 mai 2020 - 12:52

Temps de lecture : 3 minutes

Le versant confidentialité des CBDCs a été abordé lors d’un débat  dans le cadre des conférences de « Money Re-imagined ». Revue de détail.

De quoi parle t-on ?

L’un des points d’achoppement de l’émission d’une CBDC à l’intention du grand public est la préservation de la vie privée. En effet, une CBDC pourrait constituer une menace à l’intégrité des données de l’utilisateur si elle était mise en œuvre sans dispositions appropriées. Les gouvernements pourraient à loisir fouiner dans les comptes des citoyens et contrôler les transactions, les soldes, les comptes de débit et de crédit. On le sait, la Chine de Xi Jinpin évalue déjà ses citoyens en fonction de leurs données bancaires et la surveillance va se renforcer encore avec la sortie imminente du yuan numérique.

Dans le débat qui s’est tenu lundi, on a assisté à une confrontation classique entre les tenants d’un contrôle accru des transactions et les partisans d’une orientation confidentielle des opérations de monnaies numériques.

Une surveillance renforcée

On ne s’étonnera pas que l’ancien secrétaire américain du Trésor, Lawrence Summers, fasse partie du premier groupe. Il a défendu l’idée qu’une CBDC devait faciliter une plus grande surveillance des opérations bancaires, arguant du fait que le système fiduciaire actuel caractérisé par « un excès de confidentialité » favoriserait le blanchiment de gros capitaux. Sous couvert d’une égalité de traitement, il prône un contrôle resserré.

«De toutes les libertés importantes, la capacité de posséder, de transférer et de faire des affaires avec des sommes d’argent de plusieurs millions de dollars me semble être l’une des libertés les moins importantes que les gouvernements devraient préserver. […] L’argument en faveur des monnaies numériques des banques centrales consiste à égaliser les règles du jeu entre les petits et les grands acteurs, et à rendre plus difficile le développement de formes de financement anonymes. »

La confusion règne

Caitlin Long, femme de tête et d’action,  qui œuvre énergiquement, notamment pour asseoir le Wyoming au rang des Etats précurseurs de l’industrie crypto, a fait valoir un point de vue totalement différent. Soulevant la confusion régnant entre confidentialité et anonymat, ce qu’un Bitcoin a résolu avec le pseudonymat, elle a pointé la situation intenable des sociétés proposant des services de cryptomonnaies. En effet, croulant sous l’effet de réglementations de plus en plus lourdes, les contraignant à abandonner leur idéal de liberté citoyenne, elles sont obligées d’exposer les données personnelles de leurs utilisateurs de façon beaucoup trop inquisitrice. Par ces mesures contre-productives, c’est tout un secteur  en devenir qui se trouve fragilisé.

Un point de vue tout en nuance

Christopher Giancarlo, ardent défenseur du dollar numérique et ancien président de la Commodity Futures Trading Commission des Etats-Unis, a  quant à lui défendu le principe de conciliation.

«Trouver le juste équilibre en matière de confidentialité doit être un impératif de conception pour toute monnaie fiduciaire numérisée. (…) Une monnaie numérique émise par l’État (doit) offrir la possibilité de coder des droits individuels nuancés et respectueux de la vie privée avec les besoins de surveillance du gouvernement. »

Nous voilà bien avancés… Plus intéressant, il en appelle à un débat public vigoureux en la matière et plus globalement sur le bien fondé ou non de l’émission d’un dollar numérique qui doit être conditionné à la préférence exprimée par les citoyens.

Relativisme culturel et intérêt corporatiste

Sheila Warren, responsable blockchain et de la politique des données au Forum économique mondial, a mis l’accent sur les singularités nationales. De son point de vue, il ne peut y avoir une seule et même orientation par rapport au discours sur la confidentialité. Cette notion fondamentale serait trop dépendante d’un contexte culturel, politique et économique spécifique à chaque pays pour bâtir une conception universelle de la protection des données individuelles. On connaît dans d’autres domaines cet éternel débat et les dommages provoqués par cette injonction au relativisme culturel…

Enfin, Dante Disparte, vice-président de la Libra Association , est intervenu. Soutenant qu’une pluralité de devises privées et numériques servirait au mieux les besoins du public, il a défendu la nouvelle version du (des) stablecoin de Facebook tout en restant assez flou sur la thématique du jour.

Après un tel débat, les questions persistent. L’anonymat sera t-il préservé ? Et si oui, à quel degré ? Pourrait-on se diriger vers un pseudonymat à la Bitcoin ? Jusqu’à quel point le consentement des citoyens sera t-il sollicité ?

Tout reste à définir. Nous n’avons pas fini d’exercer notre vigilance.

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