Panorama CBDC 2020 : le dollar au coeur des enjeux
28 décembre 2020 - 14:54
Temps de lecture : 4 minutes
Par Nathalie E.
Dans ce petit tour du monde entamé dans le premier volet par la Chine et la Suède à la pointe des CBDCs, une grande nation se distingue par une attitude beaucoup moins volontaire en ce domaine. On veut bien sûr parler des Etats-Unis. Assoupis sur leur dieu-dollar, ils n’ont semblé que tardivement prendre la mesure de ce qui se jouait. Pourtant, leur monnaie souveraine est souvent au coeur des enjeux liés aux CBDCs.
Les Etats-Unis à la traîne
Dans cette course aux CBDCs, la plus nonchalante en ce domaine a été la Réserve fédérale américaine. Elle a en effet longtemps rechigné à considérer une version technologique du dollar comme primordiale pour le futur de ses paiements. Péchant sans doute par arrogance, elle a cru pouvoir s’en passer, juchée sur la suprématie de sa monnaie. Si elle semble depuis avoir pris le train en marche et se pencher dorénavant sérieusement sur l’émission d’une CBDC, ça n’a pas été sans mal.
Il aura d’abord fallu un contexte national compliqué lié à la pandémie et aux ratés de l’helicopter-money pour que s’impose très progressivement l’idée d’un dollar numérique. Puis, pour qu’advienne celle d’une « vraie » CBDC, il aura aussi fallu compter sur un contexte international offensif sur la question. De plus en plus de conseillers, experts et politiciens démocrates comme républicains ont commencé à s’alarmer de l’apathie américaine face à la numérisation des devises nationales un peu partout dans le monde. Leur inquiétude portant non tant sur l’affaiblissement du dollar en tant que réserve de valeur que sur le dollar en tant que monnaie-reine dans les échanges commerciaux internationaux avec un système SWIFT omniprésent.
Les CBDCs, un moyen de délaisser le dollar comme monnaie d’échange
Un nombre croissant de pays en effet s’en détourne, non seulement parce qu’il est jugé obsolète d’un point de vue technique, mais surtout pour atténuer la portée des sanctions économiques conduites par les Etats Unis à leur encontre. Ainsi, l’Iran a pu avoir des velléités de créer une CBDC à plusieurs. Son appel aux autres pays musulmans en décembre 2019 n’a pas soulevé l’enthousiasme même s’il était inspiré par l’initiative des BRICS, l’association économique des pays émergents, regroupant le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, conçu au départ pour contrebalancer les règles du jeu économiques écrites par les Occidentaux, qui a elle aussi lancé l’idée de créer un système de paiement qui leur serait propre. De fait, pour le moment, on voit surtout le binôme Chine-Russie prendre la main. Le système SPFS russe est de plus en plus connecté au système de paiement international chinois CIPS .
Quant à l’Iran, il a dégainé Bitcoin face aux sanctions américaines. Un choix contraint certes, mais audacieux : opter pour un actif non censurable et décentralisé plutôt que pour une vieille monnaie juste rénovée par un habillage numérique. On peut néanmoins regretter l’association du Bitcoin avec un régime autoritaire…
Mais tout un tas d’autres pays cherchent aussi des solutions alternatives pour les paiements transfrontaliers. Ainsi, la Thaïlande et Hong Kong avancent main dans la main autour de leur projet baptisé Inthanon-LionRock associant le nom de leurs CBDCs respectives. Ce dispositif va permettre de simplifier, d’accélérer et de réduire les coûts de transfert de fonds entre le baht thaïlandais et le dollar hongkongais.
Une CBDC pour dé-dollariser l’économie
Quoi qu’il en soit, le rôle mondial du dollar tend à être remis en cause par toute une série de pays et d’acteurs économiques lassés d’être soumis aux exigences incessantes de Washington. Ainsi, nombre de nations dites émergentes cherchent à dé-dollariser leur économie. Beaucoup de pays, notamment en Amérique latine, ont tenté de le réaliser et se sont retrouvés dans une situation économique désastreuse comme le Vénézuela et son pétard, pardon Petro, mouillé. Il semblerait d’ailleurs que la banque centrale de Caracas se soit elle aussi tournée vers Bitcoin pour régler ses paiements transfrontaliers avec ses alliés iranien et turc dans le cadre de la loi anti-sanction, qui donne à l’Exécutif le pouvoir d’autoriser « la création et la mise en œuvre de tout mécanisme financier ». Les pays sous embargo américain ont-ils trouvé le graal ? L’avenir nous le dira.
Le Bakong cambodgien
En attendant, à l’autre bout de la planète, un « petit » pays semble en passe de réussir son pari de dédollarisation en empruntant une voie plus traditionnelle. Le Cambodge, champion d’une économie collée au billet vert, a lancé cette année sa plateforme de paiement baptisée Bakong. Contrairement à la plupart des projets de CBDC, Bakong n’implique pas de monnaie numérique native. Les cambodgiens pourront effectuer des paiements adossés à leurs propres avoirs en dollars ou en riels, la monnaie officielle à l’histoire tortueuse jamais vraiment adoptée par la population. Autre singularité : si Bakong est soutenu par la Banque centrale, c’est un collectif d’institutions financières appelé à s’élargir qui préside à sa destinée. Et le Cambodge ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Ainsi, la banque centrale de Phnom Penn a commencé aussi à développer un système de paiement transfrontalier pour faciliter les transferts de fond des travailleurs migrants.
Toutes ces velléités d’indépendance au dollar américain signent-elles la fin de son hégémonie ? Rien n’est joué et peut-être même que la question n’est plus vraiment d’actualité si, comme certains experts l’avancent, le monde ne va plus jouer la même partition monétaire en relocalisant à tout va ses économies respectives. C’est peut-être d’ailleurs la raison pour laquelle toutes les banques centrales du monde, à quelques rares exceptions près, déclarent travailler sur l’émission d’une CBDC. L’heure est à la transformation numérique y compris dans le domaine monétaire. La banque des règlements internationaux, surnommée « la banque des banques » est devenue sa plus fervente partisane et pousse toutes les nations, même les plus rétives, à oeuvrer en ce sens.
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