Paroles de régulateur : Bitcoin à la trappe, stablecoins à considérer

05 septembre 2020 - 18:34

Temps de lecture : 4 minutes

Dans une conférence en ligne organisée par le Brookings Institute portant sur les actifs numériques, le gouverneur de la banque centrale britannique (BoE), Andrew Bailey, a confirmé la figure du régulateur comme instance dépréciatrice du Bitcoin mais largement plus affable avec les stablecoins.

Un Bitcoin peu fréquentable

D’emblée, le ton est donné. Le sujet du Bitcoin est abordé en premier avec l’impression que le gouverneur de la BoE veut s’en débarrasser à peu de frais.

Permettez-moi de commencer par les actifs cryptographiques tels que Bitcoin qui sont apparus au cours des dix dernières années. Ils n’ont aucun lien avec l’argent… leur valeur peut fluctuer considérablement sans surprise. Ils me semblent fondamentalement inadaptés au monde des paiements où la certitude de la valeur compte. »

Ni argent, ni investissement approprié, le Bitcoin continue à avoir mauvaise presse auprès d’un gouverneur gouverné par les mêmes sombres prédictions qu’il avait émises au printemps dans un entretien accordé à la BBC.

C’est aussi un produit étrange, car l’offre est fixe. Si vous voulez investir dans Bitcoin, soyez prêt à perdre votre argent.”

Un Bitcoin peu fréquentable, voilà sans substance l’opinion si peu argumentée du régulateur. En revanche, les stablecoins semblent échapper à sa vindicte. Du moins le ton se fait plus nuancé en arguant de certains « avantages utiles », notamment une fonction émolliente censée contribuer à réduire les frictions dans les paiements sous certaine conditions.

Si les stablecoins doivent être largement utilisés comme moyen de paiement, ils doivent respecter des normes équivalentes à celles qui sont en vigueur aujourd’hui pour les autres formes de paiement et les formes d’argent transférées par son intermédiaire. »

Des stablecoins plus bankfriendly

Autrement dit, il s’agit de mettre en place un cadre réglementaire pour ce type d’actifs qui visera aussi à protéger les citoyens qui y auront recours.

(Il s’agit) d’offrir aux détenteurs de pièces une réclamation solide, avec des mécanismes de soutien et des protections pour s’assurer qu’ils peuvent être échangés à tout moment 1 -à-1 en monnaie fiduciaire.  » 

S’il ne s’est visiblement toujours pas formé aux fondamentaux du Bitcoin ou plus vraisemblablement, comme tout régulateur qui se respecte, qu’il demeure obstinément rétif à un actif décentralisé, Andrew Bailey ne semble en revanche pas ignorer la croissance exponentielle des stablecoins, l’USDT en tête. Avec une offre en circulation qui bat aujourd’hui tous les records, les stablecoins sont à l’origine de 440 milliards de dollars d’échanges depuis le début de 2020. En comparaison, comme nous l’apprend le JdC, le géant Paypal a traité l’équivalent de 712 milliards de dollars au cours de l’année 2019. Les stablecoins pourraient donc bientôt dépasser Paypal en termes de valeurs échangée. Un phénomène qui dépasse les limites de la cryptosphère et dont semble averti le gouverneur qui, mais il n’est pas le premier, envisage un avenir possible à ces cryptos indexées auprès des futures CBDCs (Central Bank Digital Currency).

Les stablecoins et les CBDCs ne s’excluent pas nécessairement l’un l’autre. En fonction des choix de conception, ils peuvent se côtoyer (…). Il est donc probable que les secteurs privé et public auront un rôle à jouer dans le domaine des paiements à l’avenir. »

En route pour la réglementation des stablecoins

La plupart des stablecoins sont soutenus par des monnaies fiduciaires, en général le dollar, ils sont donc en quelque sorte soumis à la gouvernance des banques centrales. Ils peuvent de fait s’inscrire, avec quelques accommodements, dans la sphère d’influence des décideurs institutionnels tout comme l’aurait été, et même s’il n’est pas explicitement cité, feu le stablecoin multidevise de Facebook.

Un stablecoin mondial est un phénomène transfrontalier. Il peut être exploité dans une juridiction, libellé dans la devise d’une autre et utilisé par les consommateurs dans un tiers. La réponse réglementaire doit correspondre. […] Les problèmes mondiaux nécessitent une réponse mondiale, en particulier pour les pièces stables multi-devises destinées aux transactions transfrontalières. « 

L’idée, répétons-le n’est pas nouvelle. Un rapport des analystes de la BoE travaillant sur un projet de CBDC avait déjà énoncé le fait qu’il existait une possibilité que des entreprises privées puissent jouer un rôle dans l’émission et la distribution de monnaies numériques

Si ces propositions répondent à un besoin réel – par exemple, une certaine faiblesse du système de paiement existant ou une catégorie d’utilisateurs qui ne sont pas desservis par les systèmes de paiement existants – le secteur public peut jouer un rôle dans ce besoin, tout en laissant (une place) au secteur privé . »

Ben Dyson, responsable en charge des actifs cryptographiques à la BoE

Chassez le naturel…

Andrew Bailey, gouverneur de la BoE

Le webinaire s’est achevé sur une question d’actualité bien légitime quand on connaît la frénésie qui s’est emparée de presque toutes les banques centrales du monde pour moderniser leur infrastructure de paiement. Alors une version numérique de la livre sterling, c’est pour quand ? Et surtout, puisqu’il ne s’agit pas de brûler les étapes, y aura t-il proclamation de son acte de naissance ? La réponse normande, euh… non british, a douché les espoirs d’un calendrier précis.

«Je pense que la réponse est oui et non. C’est une bonne question, et elle est à l’étude « 

Le banquier central, on le sait, avance toujours avec une prudence de sioux. Il n’affirme ni n’infirme les projets à l’oeuvre au sein de sa vénérable institution. Mais, plus intéressant, il peut – modérément – questionner la nature de l’argent et son rôle de gardien du dogme monétaire sans, bien sûr, reconnaître le rôle du Bitcoin dans cette réflexion-là.

[La] nature changeante de l’argent nous amène à faire une pause et à considérer les implications de l’argent beaucoup plus loin qu’un simple échange d’argent ou une transaction de valeur … les implications politiques sont beaucoup plus importantes en ce qui concerne la mission spécifique de la banque centrale … où le rôle de la banque centrale pourrait-il commencer et s’arrêter.

Des doutes qui n’auront duré que l’espace d’un cillement. Le naturel interventionniste du régulateur reprenant vite ses droits, Andrew Bailey a conclu de la plus belle manière.

Le cycle de l’innovation est tel qu’il est essentiel que nous établissions des normes.»

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