Routine de régulateur : dénigrer Bitcoin, ajourner Libra

13 octobre 2020 - 16:44

Temps de lecture : 3 minutes

Les déclarations publiques des régulateurs se suivent et se ressemblent malgré une progression indéniable de la réflexion institutionnelle autour des actifs numériques. Retour sur deux ennemis désignés, Bitcoin et Libra, qui continuent d’alimenter les rêves de contrôle des Etats.

Exercice de dénigrement

Le Bitcoin continue d’inspirer des commentaires dépréciatifs de la part des régulateurs. Le « sans valeur intrinsèque » prononcé par le gouverneur de la Banque centrale d’Angleterre (BoE) pour qualifier la crypto reine, lors de sa dernière apparition publique, en est l’inénarrable manifestation. Répétant à l’envi ce qu’il avait déjà affirmé, Andrew Bailey enfonce le clou jusqu’aux limites du barbarisme et du charabia en évoquant du bout des lèvres le fait que Bitcoin peut avoir « une valeur extrinsèque dans le sens où les gens le veulent » . Feignant la perplexité face à ce désir monétaire incongru, il réaffirme que Bitcoin « n’a aucun lien avec la monnaie et s’avoue « très nerveux » à l’idée que des individus s’en servent comme d’un moyen de paiement. Mais là n’est pas la seule raison de son ressentiment.

En effet, la ficelle du psittacisme est un peu grosse au moment où un frémissement institutionnel en faveur d’un BTC comme valeur refuge se fait sentir. Sentant le vent tourner, redoutant sans doute que des sociétés britanniques suivent la voie ouverte par MicroStrategy ou Square, le gouverneur de la BoE appelle les investisseurs à la prudence en raison de la volatilité des cryptomonnaies.

Surtout, hormis un registre de mises en garde un peu dérisoire (les investisseurs patentés, on le sait, ne sont que de grands enfants déraisonnables…), le régulateur n’ignore pas qu’il ne dispose que de son autorité conférée pour tenter de contrer l’avancée irrésistible d’une création monétaire qui échappe aux Etats. Sa seule arme contre Bitcoin est donc le dénigrement systématique. Pas de possibilité à son grand désarroi d’interdire ce qu’il qualifie de « produit étrange » mais qui le dérange surtout parce qu’il est décentralisé et donc résistant à toute forme de censure.

Libra toujours suspendue à la bonne volonté des régulateurs

En revanche, pour ce qui concerne Libra, émanation « maléfique » de Facebook, la donne est bien différente. Et les régulateurs n’en démordent pas. Un tel projet de stablecoin mondial ne peut pas voir le jour sans un cadre réglementaire strict. Le réseau social et ses partenaires qui ont pourtant édulcoré le projet initial, doivent donc encore ronger leur frein. En effet, les ministres des Finances du G7 et les gouverneurs des Banques centrales s’opposent toujours aussi fermement à l’audace de Zuckerberg selon les échos de leur dernière réunion.

Le G7 continue de soutenir qu’aucun projet mondial de stablecoin ne devrait commencer à fonctionner tant qu’il n’a pas répondu de manière adéquate aux exigences juridiques, réglementaires et de surveillance pertinentes par une conception appropriée et en adhérant aux normes applicables. »

Projet de déclaration des ministres des Finances du G7

Une énième déclaration de principe mais toujours pas de mise en acte. On a beau connaître le rythme lent des régulateurs, on peut néanmoins soupçonner une intention délibérée à cette longue attente.

En effet, les sept grandes économies mondiales (Etats-Unis, Canada, Japon, Allemagne, Italie, Grande-Bretagne et France) sont désormais convaincues par les vertus des monnaies numériques. Elles ne se privent plus aujourd’hui d’en énumérer le chapelet des bénéfices : simplification de l’infrastructure de paiement, réduction des coûts, inclusion financière… Aussi, s’y sont-elles mises à leur tour. Chaque pays fomentant à son rythme un modèle de devise souveraine 2.0. Autrement dit, un habillage numérique pour une monnaie centralisée et régulée, connue dorénavant sous l’appellation CBDC (Central Bank Digital Currency), et qui connaîtra peu ou prou les mêmes dérives que le système bancaire traditionnel.

Préserver son pré carré

Le souci, c’est que Facebook et ses deux milliards d’utilisateurs sont susceptibles de leur faire de l’ombre en venant rivaliser sur le terrain des prérogatives monétaires que les Etats veulent préserver. Aussi, et même si le projet subversif des débuts apparaît de plus en plus comme un énième système de paiement plutôt inoffensif – l’ambition d’un unique stablecoin mondial s’est émiettée en une kyrielle de stablecoins nationaux (LibraUSD, LibraEUR…) – il reste dans la tête des régulateurs un rival à exclure, du moins à contrôler de près, sous le prétexte mille fois rebattu de protection des citoyens que seule une monnaie d’Etat pourrait garantir.

Or, pour le moment, à la lumière des débats et des rapports qui fleurissent partout quant à la conception de CBDC, on constate qu’en ce qui concerne la préservation de la vie privée, la sécurité des transactions et l’intégrité du système dans sa globalité, le pari est loin d’être gagné. Il reste encore beaucoup à faire. Les enjeux d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier. Aussi, peut-on s’étonner de paroles officielles qui s’épuisent en redites incessantes alors que la phase expérimentale des monnaies d’Etat connaît une accélération sans précédent. Les problématiques posées par leur réalisation sont au coeur de l’actualité. Plus vraiment les ennemis originels qui, une fois désignés, redésignés et désignés encore, ne font plus vraiment avancer la réflexion institutionnelle mais vraisemblablement continuent de lui faire peur…

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