[Interview] Manuel Valente – Directeur de la recherche chez Coinhouse

09 avril 2019 - 11:23

Temps de lecture : 10 minutes

CryptoActu vous propose aujourd’hui l’interview de Manuel Valente qui a accepté de répondre à nos questions. Il est impliqué dans l’écosystème crypto et blockchain depuis de nombreuses années déjà. En effet, après avoir été directeur de la Maison du Bitcoin, il est actuellement Directeur de la Recherche de l’entreprise française Coinhouse.

I. Tout d’abord Coinhouse, c’est quoi ?

Coinhouse c’est une plateforme d’échange de cryptomonnaies française, à la fois disponible en ligne, mais possédant également un lieu d’échange physique. En effet, il existe le Coinhouse Store [anciennement La Maison du Bitcoin] qui se trouve en plein centre de Paris et dans lequel vous pouvez notamment discuter avec une équipe de spécialistes qui vous orienteront dans vos choix d’achats de cryptoactifs. Cet établissement est unique dans le monde.

Pour la plateforme en ligne, elle est idéale pour se procurer ses premières cryptomonnaies, comme du Bitcoin ou de l’Ethereum que cela soit par carte bancaire ou par virement. C’est l’un des rares acteurs en France à offrir ce type de prestation et l’entreprise compte aujourd’hui plus de 100 000 utilisateurs.

La plateforme souhaite se diversifier et propose maintenant des formations, un service premium ou encore une rubrique qui traite de l’actualité du secteur.

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II. L’Interview

L’entretien que j’ai pu avoir avec Manuel a permis d’évoquer de nombreux aspects liés à Coinhouse, ainsi que la régulation des cryptomonnaies en France, mais également l’évolution du marché en général. Je le remercie fortement d’avoir répondu à mes questions et lui souhaite beaucoup de réussite avec l’entreprise française.

Manuel Valente

Manuel Valente, directeur de la recherche chez Coinhouse

CryptoActu : Pourriez-vous vous présenter, parler de votre fonction et votre parcours ?

Manuel Valente : Je m’appelle Manuel Valente, je suis actuellement Directeur de la recherche chez Coinhouse. Mon boulot c’est d’être au courant de ce qu’il se passe sur le marché, des dernières évolutions, et de ce qui pourrait améliorer notre offre. Je m’occupe également de gérer l’espace Insights.Coinhouse sur lequel on écrit des articles sur des sujets que nous jugeons intéressants.

CryptoActu : Vous êtes dans l’écosystème crypto depuis déjà assez longtemps, notamment avec la création de la Maison du Bitcoin, pouvez-vous nous en dire plus ?

Manuel Valente : Alors la Maison du Bitcoin a été créée en 2014. J’étais là, en accompagnement d’Eric Larchévêque, qui a lancé l’entreprise LEDGER. On a donc toujours fonctionné de manière très très proche avec cette société. À l’époque, ce n’était qu’un petit espace de co-working pour appuyer le monde de la crypto et de la blockchain. Puis, peu à peu, on a étendu nos services, avec l’aspect trading et broker, et aujourd’hui tout ce qui touche à la finance.

CryptoActu : Quel est le futur de Coinhouse ? La plateforme se développe, vous l’avez évoqué avec la partie Insights par exemple. Il y a également les formations ou encore, le Coinhouse Store. On voit une réelle évolution au fil des années, quels sont les axes étudiés pour l’avenir ?

Manuel Valente : Alors, le plus important c’est de trouver des niches, des débouchés, des marchés. Nous, on pense que la régulation est un sujet absolument essentiel. Autant il est possible qu’un particulier puisse facilement acheter des cryptoactifs, sur une plateforme qui peut être située en Asie ou aux États-Unis, autant pour tout ce qui va être le monde des professionnels, c’est plus compliqué. Les entreprises ont besoin d’être devant des acteurs qui sont régulés. Si on veut par exemple parler au monde de la finance traditionnelle, il faut absolument qu’il y ait de la réglementation et de la régulation. Il doit y avoir une certaine sécurité pour s’adresser à ce genre d’acteurs. Les agréments et la régulation sont donc essentiels selon nous.

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CryptoActu : Pour rebondir sur votre réponse, quel est votre avis sur l’évolution de cette réglementation, en France, mais également en Europe ? La dynamique est-elle bonne ? La route est-elle encore longue ?

Manuel Valente : Alors, après avoir lu un document qui provenait de la Commission Européenne (il me semble), je dirais qu’il y a du positif et du négatif. Selon ce dernier, le fait que l’AMF commence à travailler sur les régulations en France est vraiment négatif.

Et je suis d’accord avec ce point de vue, si vous vous retrouvez dans 3-4 ans, avec une loi par nation, cela va être un cauchemar pour harmoniser tout ça. Les autorités européennes essaient donc de faire passer l’idée suivante : « Attention, il faut faire une réglementation européenne qui puisse s’imposer dans les pays membres, plutôt qu’une réglementation pour chaque pays. »

Au contraire, l’AMF veut avancer, elle souhaite faire en sorte que cette industrie se développe en France en offrant au monde de la finance traditionnelle des garanties, des agréments, qui permettront de faire des rapprochements.

Je peux comprendre les deux points de vue. Mettre plus de vingt pays d’accord, c’est évidemment plus long. La question c’est, qu’est-ce qu’on fait pendant ce temps ? Il y a des pays qui semblent peu préoccupés par ces questions. À notre connaissance, un certain nombre de pays de l’Europe de l’Est ne se soucient vraiment pas du tout de cette problématique. Ils ne pensent pas que le marché des cryptoactifs et de la blockchain soit encore très utile. À l’inverse, on a la France et l’Allemagne, qui considèrent que c’est nécessaire et important de réguler ce secteur.

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CryptoActu : Est-ce que vous avez eu de gros problèmes dans le développement de Coinhouse ? Nous avons eu l’occasion de parler à des acteurs en France qui ont eu des soucis au niveau bancaire, par exemple. Est-ce que Coinhouse a connu des difficultés similaires ?

Manuel Valente : Bien sûr. Le risque versus les avantages de la banque. Les entreprises qui restent dans l’écosystème crypto vont avoir besoin de faire transiter des fonds. Ce sont des actions qui ne rapportent pas forcément énormément aux banques et à côté de ça, les médias continuent d’entretenir l’image des cryptoactifs associés au Dark Web, aux marchands de drogues et d’armes. Les deux choses ensembles, le fait qu’il n’y ait que peu de profits à réaliser et un risque qui peut être potentiellement énorme, à une époque où les banques sont de plus en plus surveillées, le calcul est rapidement fait. Il n’y a absolument aucun intérêt pour elles. Ce qui est remarquable avec la loi PACTE, c’est qu’il y a des articles qui concernent les créateurs d’ICO. Il y aura donc un tampon qui sera apposé par l’AMF. Si une entreprise reçoit le visa AMF pour le lancement de son ICO, alors cette société aura le droit d’avoir un compte en banque. Ça, c’est absolument positif. L’État français a pris conscience qu’il y avait un gros problème et a essayé de trouver une solution. Je ne sais pas si les banques respecteront cette injonction, mais en tout cas il y a vraiment une volonté de l’État et du législateur de les faire se conformer. Si l’AMF confirme que tel ou tel projet est suffisamment sérieux, vous n’avez aucune raison de lui refuser un compte en banque.

Après, nous, on a l’impression qu’il y a une dichotomie. À la fois chez les banques, mais aussi à l’intérieur de l’État. Cela concerne également les différents interlocuteurs que l’on a pu avoir. D’un côté il y a les gens qui se rendent compte qu’il y a une nouvelle industrie qui est en train de naître (avec la création d’emplois et de marchés) quand d’un autre côté, il y a des individus qui sont encore là à dire que les cryptoactifs ne servent qu’à acheter de la drogue. Il y a même un député des Républicains qui avait déclaré l’interdiction du Bitcoin et avait demandé la fermeture de la Maison du Bitcoin il y a deux ou trois ans. Au final, je pense que c’est souvent la faute des médias. Qu’est-ce qui va attirer le plus grand nombre de clics ? Il est peu probable que cela soit « Tel projet va lancer un projet blockchain« , mais plutôt « Regardez, avec du Bitcoin, on peut acheter de la drogue et des armes« .

CryptoActu : Sur un tout autre sujet, est-ce qu’une plateforme comme Coinhouse pourrait se faire une place sur le marché, au niveau international ? Est-ce qu’elle peut essayer à terme de concurrencer Coinbase ou Binance par exemple ? Faut-il innover dans le secteur ?

Manuel Valente : On ne veut pas se mettre sur le chemin de Coinbase. Évidemment c’est le plus gros acteur mondial. Ils sont capables de faire d’énormes économies d’échelle, c’est très dur de lutter. Par contre, nous pensons que la prochaine grande vague au niveau du développement des cryptomonnaies sera la convergence entre le secteur crypto et celui de la finance traditionnelle. Par exemple, la possibilité pour un client d’une banque de pouvoir aller acheter un trajet basé sur les cryptoactifs auprès de son établissement bancaire. Nous, on pense que c’est concrètement faisable d’ici les 3-4 prochaines années. Or, si l’on veut faire ce genre de chose, cela ne pourra se faire que via un acteur régulé en France. Nous ne nous attendons pas à ce que les banques commencent à proposer ce type de produits. Cependant, des entreprises pourront leur fournir ces produits pour qu’elles puissent ensuite les présenter à leur tour à leurs clients. À travers cette intermédiation entre la finance traditionnelle et l’univers de la blockchain, il peut y avoir des plans intéressants pour une entreprise.

Ce genre de collaboration ne s’adressera pas forcément uniquement à des banques. On le voit aujourd’hui, les premières applications qui commencent à apparaître sont autour du monde de la finance. Tout ce qui va concerner la titrisation, cela concerne les banques, mais également toutes les entreprises du secteur de la finance traditionnelle qui peuvent être intéressées par ce genre d’applications. Nous, on veut pouvoir être là et pouvoir servir de passerelle entre ces deux univers. Chez Coinhouse, nous avons à la fois des personnes qui proviennent de l’écosystème blockchain avec un fort background technologique, mais également des éléments qui viennent plutôt du monde de la finance traditionnelle et du capital risk. Du coup, on est capable de parler aux deux univers.

CryptoActu : Quelles sont vos relations avec les autres acteurs français, par exemple Paymium, Ark Ecosystem ou encore Kryll ?

Manuel Valente : En France, on travaille notamment avec BTU Protocole. On les a accompagnés dans le financement de leur projet. Puis, on a déjà discuté avec de grands acteurs de la blockchain en France, comme Blockchain Partner par exemple. On a aussi été reçu chez M. Le Maire au moment où il préparait la loi PACTE. On a d’assez bonnes relations avec l’ensemble de la communauté, car on dispose d’un lieu physique. On est toujours prêt à accueillir des projets, notamment pour des présentations dans nos locaux. On souhaite être un HUB pour la communauté.

CryptoActu : Pouvez-nous nous parler du Coinhouse Store ainsi que de sa fréquentation ? Est-ce une passerelle entre le monde virtuel et physique ?

Manuel Valente : Bien sûr. On a des gens qui viennent pour des renseignements. Mais en général, on nous rend visite pour réaliser des opérations. Il y a peu de temps encore, je discutais avec des personnes qui avaient fait 800 kilomètres pour pouvoir effectuer une transaction dans un lieu physique car elles préféraient être en face d’une personne réelle. Elles voulaient aussi des conseils sur la sécurité et la gestion de leurs fonds. Il y a donc vraiment un intérêt pour certains. Nous, on a fait des centaines de formations d’introduction gratuite au grand public. À une époque, on en faisait une par semaine, on a maintenant un peu ralenti le rythme, mais on a toujours considéré que c’était important d’éduquer la population sur le Bitcoin et la blockchain. C’est fondamental d’avoir ce rôle pédagogique pour le grand public.

CryptoActu : Selon vous, quelles vont être les applications les plus intéressantes, notamment dans notre quotidien des cryptoactifs ? Quels sont les projets qui ont le potentiel d’adoption le plus important ?

Manuel Valente : Sans hésiter, je vous réponds Maker DAO. L’équipe du projet travaille sur un stablecoin. Contrairement à Tether [le stablecoin leader], Maker DAO utilise une collatérale basée sur Ethereum. Du coup, on a une sécurité absolue, à l’inverse du Tether qui peut avoir de nombreux soucis. On se demande souvent, « ont-ils vraiment les fonds qu’ils prétendent avoir » par exemple. Ce n’est pas le cas ici. Avec Maker DAO, on n’a plus ce genre de problème, car on a la collatérale stockée sur un smart contract d’Ethereum que seule la personne qui a créé le stablecoin est capable de récupérer. Donc pour la première fois, on a un vrai stablecoin qui arrive, avec une garantie de sécurité absolue sur ce point précis. Nous, on pense que le marché a assurément besoin de stablecoins.

Je vous donne un exemple. Lorsque vous êtes en train de faire un smart contract sur Ethereum pour gérer des contrats d’assurance, n’oubliez pas que la prime sera payée en Ether, et c’est un souci à cause de la volatilité de l’actif. Donc du coup le marché a forcément besoin d’un stablecoin. Nous, on pense que Maker DAO est un projet absolument formidable car il répond directement à cette problématique, et on a vraiment constaté qu’il y a de nombreux projets sur Ethereum qui s’intéressent de très près au DAI et souhaitent commencer à l’utiliser pour effectuer des paiements sur leur interface. Donc s’il y a un projet fondamental dans lequel je crois et que certains membres de chez nous trouvent également intéressant, c’est bien celui-ci.

Je ne sais pas si vous l’avez vu, mais il y a encore peu de temps, il y a eu des déclarations avec des incertitudes qui se confirment sur le Tether, donc les gens doutent. Le DAI représente aujourd’hui 95 millions de dollars sur le marché, et cela pourrait rapidement augmenter. Puis, espérons-le, supplanter le Tether.

CryptoActu : Que pensez-vous des géants mondiaux comme Facebook, ou Amazon qui s’intéressent à la blockchain ?

Manuel Valente : Moi je pense que tout ce qui fera que les gens commenceront à être habitués à utiliser des cryptoactifs est une bonne chose. Que cela soit le Facebook Coin ou que cela soit le JPMorgan Coin, ou autre, je pense que cela influencera positivement le développement de l’écosystème.

J’aime bien faire la comparaison entre le monde des cryptoactifs actuellement, et le monde des ordinateurs dans les années 1980 – 90. À l’époque, il y avait une pléthore d’acteurs sur le marché, il était possible d’avoir du Apple, du Linux, etc. Aujourd’hui, 80 à 90% des ordinateurs dans le monde connectés à Internet fonctionnent sous Linux, que cela soit les systèmes d’exploitation Android ou iOS, ils sont tous les deux basés sur Linux. Donc, de nos jours, on a tous un Linux dans notre poche. Il a fallu quelques années, mais on a planté la graine du développement et tout cela s’est étendu jusqu’à l’arrivée de l’utilisation de masse. Je pense que pour les cryptomonnaies, c’est à peu près la même chose. Aujourd’hui, de nombreux projets sont encore difficiles à concrètement utiliser. Par contre, on aura besoin de grands acteurs comme Facebook, qui permettront une adoption plus massive. Puis, au fur et à mesure, et une fois qu’ils auront découvert ce monde, ils pourront se tourner vers des blockchains décentralisées comme Ethereum ou le Bitcoin par exemple.

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