Le Covid-19 accélérateur de CBDC ?

06 avril 2020 - 07:57

Temps de lecture : 4 minutes

La Banque des Règlements internationaux (BRI) vient de publier un état des lieux concernant les options de paiement en temps de pandémie. Le cash délaissé comme choix de règlement (mais pas comme matelas de protection) profite aux formes électroniques de paiement. Cette croissance ouvre un boulevard à la mise en oeuvre de CBDC (Central Bank Digital Currency).

L’argent sale 

Passant de main en main, l’argent physique déjà considéré comme sale en temps normal,  fait d’autant plus peur en période de propagation virale. Soupçonnés d’être un possible vecteur de transmission du virus, les pièces et billets ne sont plus du tout en odeur de sainteté. Les autorités monétaires elles-mêmes prônent la méfiance. Singapour invite fortement à utiliser les paiements sans contact. En Hongrie, les billets sont mis en « quatorzaine ». Aux Etats-Unis, avant d’être gagné à leur tour par le fléau,  les coupures venant d’Asie connaissaient la quarantaine. Quant à la Chine, elle dévoile ses retorses intentions (proscrire définitivement la monnaie-papier) en adoptant des mesures spectaculaires. Elle a mis en place un service « de désinfection » des billets aux rayons UV qui se prête bien à l’oeil de la caméra.

Pourtant, comme le rappelle la Banque de France, « les mesures de protection de base permettent d’éviter le risque de contagion ». L’Organisation mondiale de la santé (OMS), après avoir été plus alarmiste, s’est rangée à cet avis.

« Les preuves scientifiques attestent que la probabilité de transmission via les billets de banque est faible par rapport à d’autres objets fréquemment touchés, comme les terminaux de CB ou les blocs NIP. »

Elle conseille désormais simplement de se laver les mains après avoir manipulé de l’argent.

L’abandon du cash ou matelas de protection

Le rapport de la BRI vient confirmer cette suspicion autour du cash. Il précise en effet que les recherches sur Google concernant la transmission du virus par les billets ou les pièces se sont accrues ce dernier mois. Singulièrement dans les pays qui ont un usage fréquent des petites coupures (celles qui connaissent le plus fort taux de rotation) comme les Etats- Unis, le Royaume-Uni ou l’Australie, alors même qu’ils adoptent depuis le début de la pandémie des comportements différents. Le pourcentage de dollar américain en circulation connaît en effet, selon la Fed, sa plus forte hausse depuis le bug de l’an 2000, motivée sans doute par le spectre d’une faillite bancaire générale. Au Royaume-Uni en revanche, le volume des retraits aux guichets automatiques a chuté de façon marquante.

Cette disparité conduit la BRI à établir deux tendances caractérisant la période à venir.

« à la fois à une augmentation des avoirs conservatoires en espèces des consommateurs et une augmentation structurelle de l’utilisation des paiements par mobile, par carte et en ligne».

Adoption massive de paiement sans contact

Concrètement, on observe déjà une croissance exponentielle des options de paiement mobile ou sans contact. La méfiance s’est généralisée que ce soit du côté des utilisateurs ou des commerçants, à tel point que certains d’entre eux n’acceptent plus les règlements par cash. Le Louvre, avant sa fermeture, avait adopté cette mesure pour tranquilliser ses salariés et leur éviter d’exercer leur droit de retrait. L’hygiène devient ainsi l’argument ultime en faveur des paiements électroniques.

Et il est certain que si la crise sanitaire est appelée à durer, elle va changer en profondeur le comportement des consommateurs. S’habituant à l’aspect pratique et sûr de ce type de règlement, il y a une forte probabilité qu’ils l’adoptent définitivement et massivement. Ce qui n’a pas échappé aux chercheurs de la BRI qui  y voit des conditions propices au lancement de monnaie numérique de banque centrale (CBDC ou MNDB). Un certain nombre de projets déjà bien avancés pourraient éclore plus vite que prévu sous l’effet de ces circonstances exceptionnelles.

La fracture numérique

Le rapport de la BRI met cependant en garde sur l’exclusion d’une partie de la population si des infrastructures de paiement numérique se généralisaient. Une réserve qui s’appuie sans doute, sans la nommer, sur l’exemple de la Suède. En effet, connu pour être le pays au monde qui a le taux d’adoption le plus élevé de paiements électroniques avec son corollaire d’une société sans cash, le royaume scandinave vient de lancer un pilote de version numérique de sa couronne nationale, le e-krona. Mais au même moment ou presque, s’alarmant de tous les laissés pour compte qui n’ont pas accès à ces nouvelles options de paiement, le parlement suédois vient de voter une loi contraignant les banques de détail à continuer d’offrir des services en monnaies fiduciaires.

Le rapport de la BRI mise donc sur la prudence et tempère l’élan du tout-numérique. Il préconise la mise en oeuvre de CBDC tout en continuant à maintenir en circulation l’argent liquide afin de ne pas pénaliser les millions de personnes âgées ou débancarisées. Autres préconisations :  bâtir des versions numériques de devises nationales capables de contrer toutes les formes de cyberattaque.  Oui, bien sûr. En revanche, tester leur résistance  à une pandémie, on a du mal à comprendre…

Avec ou sans rapport de la BRI,  on sent bien que la crise sanitaire planétaire que nous vivons pourrait exaucer plus vite que prévu le voeu de nos dirigeants de faire (ou presque) disparaître le cash accusé de tous les maux. Un virus contre la corruption et l’évasion fiscale, la réalité dépasse vraiment la fiction.

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