CBDC : La prudence du Canada (ou comment avancer en reculant)

27 février 2020 - 17:20

Temps de lecture : 3 minutes

Comme nombre de pays qui pensent, préparent ou expérimentent la version numérique de leurs devises nationales, le Canada n’y échappe pas. Mais avec distance et circonspection.

Le Canada ne fait pas exception

Ne pouvant faire exception dans le concert des grandes et des petites nations qui veulent toutes, à plus ou moins long terme, leurs CBDC, le Canada œuvre aussi en faveur d’un dollar canadien numérique. La Banque centrale s’y emploie activement, explorant tout à la fois les exigences et les caractéristiques potentielles d’un tel outil monétaire. Elle vient de franchir un cap en proposant un prototype de CBDC. Quitte à se faire jalouser par ses partenaires de la coalition qu’elle a rejointe le mois dernier pour fomenter en chœur une riposte au stablecoin de Facebook et autres ennemis non désignés ( Bitcoin, peut-être ?).

Enfin, pour être plus juste, les nations qui pourraient envier cette réactivité se résument en fait à la Communauté européenne qui semble avoir du mal à coordonner ses énergies. Reconnaissons qu’à 27, il est moins aisé de trouver une solution. La Suède elle, a déjà mis sur les rails un pilote de CBDC, le Japon, inquiet du DCEP de sa grande voisine la Chine, avance sur des charbons ardents. Quant à la Suisse, on aurait presque envie de dire qu’elle peut si elle veut, disposer très vite d’un e-franc grâce à un environnement technophile et législatif favorable.  Enfin, le Royaume-uni, même si c’est plus nébuleux, aurait sa version numérique de la livre sterling  dans les cartons depuis déjà un moment.

Le Canada s’inscrit donc dans cette mouvance active. Le sous-gouverneur de la Banque centrale, Timothy Lane, est longuement intervenu pour en expliciter les différents aspects.

« Nous devons aller de l’avant pour déterminer à quoi pourrait ressembler une CBDC potentielle et comment elle pourrait être gérée, si la décision était prise d’en émettre une. »

Une CBDC « clé en main » au cas où

Conçue en réaction, la CBDC canadienne se veut une proposition « clé en main » pour parer à deux types d’éventualités. Dans le cas où les Canadiens se détourneraient complètement du cash physique ou si une Libra ou un autre stablecoin privé devenaient populaires auprès des citoyens.

« Dans les deux scénarios, il y aurait un argument pour que la Banque du Canada intervienne… Si une ou plusieurs monnaies numériques alternatives menaçaient d’être largement utilisées comme alternative au dollar canadien, alors une monnaie numérique émise par la banque centrale pourrait être utilisée pour défendre la souveraineté monétaire. »

Pour le moment, il n’y a donc, selon Timothy Lane, aucune urgence à la mettre en place même si les choses doivent se faire en concertation. Ainsi, pour évaluer le besoin réel d’une monnaie numérique nationale, la Banque centrale a décidé de lancer une large consultation auprès des «gouvernements et principaux intervenants des provinces et des territoires du Canada».

Notons que la Banque centrale du Canada n’est pas une novice en la matière. Elle a déjà réalisé, en partenariat avec la Banque centrale de Singapour un essai concluant de paiements transfrontaliers s’appuyant sur la DLT (Distributed Ledger Technology). Mais la déclaration de Scott Hendry qui a piloté ce projet n’est pas très encourageante.

« Il ne semble pas y avoir beaucoup d’avantages si vous regardez un système DLT et le système centralisé efficace actuel dans le seul but des paiements interbancaires. »

Scepticisme généralisé

Si actuellement, il n’y a pas, selon les mots du sous-gouverneur, « d’arguments convaincants » en faveur de l’émission d’une monnaie numérique, attendons de voir si cet avis sera partagé. La prochaine réunion du groupe des six prévue en avril,  à Washington, nous l’apprendra probablement . Chacun devra rendre compte de l’avancée de ses travaux et de l’opportunité ou non d’émettre des devises numériques.

Ce qui est sûr en revanche c’est que le scepticisme quant à créer une monnaie numérique à partir d’une DLT semble grandissant. Ainsi, la semaine dernière, à Kiev, s’est tenue une conférence réunissant différentes Banques centrales. Les participants ont semblé douter du bien-fondé d’une technologie apparentée à un registre distribué, à l’image de la déclaration de Harro Boven, conseiller de la banque centrale néerlandaise.

« L’essence de l’infrastructure DLT est qu’aucune partie ne doit avoir suffisamment confiance, mais ne faisons-nous pas simplement confiance à une banque centrale pour maintenir l’intégrité du grand livre mondial? »

Si aucun des contributeurs n’a osé repoussé complètement le principe de cette solution technologique, l’idée générale semble néanmoins celle condensée par Scott Hendry lors du même événement.

« vous n’avez pas besoin d’un DLT pour faire une monnaie numérique de banque centrale. »

Ceci étant fermement dit, revenons à l’émission d’une CBDC avec ou sans DLT. Les autres Banques centrales se rallieront-elles à celle du Canada ? Malgré l’avancée de son projet, elle considère que l’heure n’est pas venue. Un jour, peut-être mais, pour le moment, elle reste convaincue de la prééminence de l’argent fiduciaire. La preuve en est, c’est qu’elle vient de lancer une vaste consultation auprès de la population pour savoir quel illustre personnage pourrait figurer sur les billets de 5 $ canadiens qu’elle s’apprête à lancer.

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