Un crypto-euro qui fait pschitt ? Voici un état des lieux global !
11 novembre 2019 - 10:41
Temps de lecture : 5 minutes
Par Nathalie E.
Après le lobby des banques allemandes la semaine dernière, c’est au tour de la Finlande, qui assure actuellement la présidence tournante du Conseil de l’Union Européenne, de proposer la création d’un euro numérique. Mais lors de sa dernière déclaration, Bruno Lemaire a quelque peu tempéré les ardeurs cryptographiques des uns et des autres.
La genèse d’un crypto-euro
Avant que Facebook n’évoque son projet de stablecoin en juin dernier, Bruxelles paraissait assez indifférente aux cryptomonnaies. Ne sachant vraisemblablement sur quel pied danser, les gouvernements européens ont longuement tâtonné sur des mesures de régulation à mettre en place. Certains en ont adopté, d’autres pas. Le tout sans se coordonner entre eux malgré les appels du pied du ministre français des Finances, artisan de la loi Pacte.
Mais le projet Libra a changé la donne. Il a provoqué un coup de tonnerre dans le ciel des régulateurs. Alertés, ils ont soudainement réalisé que ce Libra et ses deux milliards (ou plus) d’utilisateurs potentiels représentait un danger susceptible de menacer la souveraineté monétaire de l’Europe. A partir de ce moment, les événements se sont précipités pour arriver à ce projet de texte révélé le 5 novembre par l’agence Reuters. Projet qui appelle l’Europe à développer sa propre monnaie numérique.
« La BCE et d’autres banques centrales de l’UE pourraient utilement explorer les opportunités et les défis liés à l’émission de monnaies numériques de banque centrale, notamment en envisageant des mesures concrètes à cet effet ».
Un tournant apparemment décisif
Succédant au manifeste du lobby des banques allemandes diffusé peu avant, on pensait donc assister à un tournant décisif dans la réflexion menée autour d’un euro à l’ère du web 2.0. A l’aube, croyait-on, de grandes manœuvres destinées à réformer le secteur banquier et financier en intégrant les innovations liées aux cryptomonnaies.
Un responsable de la BCE allant même jusqu’à déclarer que, dans sa version la plus ambitieuse, le projet pourrait permettre aux consommateurs d’utiliser des espèces électroniques sans (ou presque) intermédiaires. Le cash serait déposé directement à la BCE sans qu’il soit nécessaire de disposer de comptes bancaires ou de contreparties de compensation. Les paiements internationaux transfrontaliers deviendraient ainsi plus rapides et moins chers. Cette simplification des échanges comporterait toutefois un versant plus complexe à gérer. Outre les aspects techniques et juridiques, il serait douteux que les banques commerciales se laissent ainsi déposséder sans rien dire… Peut-être est-ce l’une des raisons pour laquelle la toujours circonspecte Banque de France plaide elle, pour un euro numérique à l’usage exclusif des institutions financières.
Quoi qu’il en soit, ce qui se profile c’est l’urgente nécessité de moderniser l’infrastructure monétaire de la vieille Europe. Volonté confirmée par Bruno Le Maire au sortir de la réunion du Conseil « Affaires économiques et financières » qui s’est tenu ce vendredi 8 novembre à Bruxelles.
« Nous reconnaissons très volontiers qu’il y a là un champ de travail indispensable pour les Etats. »
Mais reconnaissance ne vaut pas décision.
« Nous sommes prêts à réfléchir à une monnaie digitale publique mais dans le très long terme, car cela pose un certain nombre de difficultés qui mettront du temps à être résolues.»
Libra non ! Crypto-euro, oui mais…
Un euro numérique qui semble donc reporté aux calendes… européennes. Certes, le temps long du législateur coïncide rarement avec celui plus instantané de l’action. Mais seul Libra semble encore et toujours hanter les esprits. Et les tentatives d’apaisement formulées par Marc Zuckerberg lors de son audition au Congrès ou, il y a quelques semaines, par Bertrand Perez, le directeur général de l’Association libra ne font rien à l’affaire.
« Je le répète, notre priorité aujourd’hui est de travailler avec les régulateurs. (…) Le projet Libra a été créé pour compléter le système existant et non pour remplacer les monnaies souveraines »
Le tollé soulevé par le stablecoin de Facebook continue. Bruno Le Maire, ce 8 novembre, n’a pas hésité à enfoncer le clou pour la énième fois.
« Nous sommes opposés au projet Libra. Nous ne voulons pas que les géants du numérique étendent de plus en plus leur influence à des nouveaux champs. Nous ne voyons pas ce qui légitime l’entrée des géants du numérique dans un champ de compétence qui est celui des Etats – c’est-à-dire, la monnaie.»
Si l’idée, c’est de réguler de façon concertée les cryptomonnaies et les stablecoins, le consensus semble donc acquis. Il pourrait même aller jusqu’à une possible interdiction des jetons privés adossés à un panier de devises. Mais pour ce qui concerne l’euro numérique, le chemin paraît plus tortueux et, comment dire… plus secret.
Dernières nouvelles du front euro numérique
Néanmoins, un responsable de la BCE, lors de cette même réunion du 8 novembre, s’est montré plus expansif quant aux avancées du projet. Il a déclaré que la banque centrale de la zone euro travaillait déjà sur les aspects techniques d’une monnaie numérique. L’option choisie serait une version adoucie de l’ambition initiale évoquée plus haut. Il s’agirait en effet de miser plutôt sur une collaboration entre la BCE et les banques privées pour la distribution du cash électronique. Les détails du calendrier ont été dévoilés. Les travaux en cours seront abordés cette semaine lors de la réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE, présidée pour la première fois par Christine Lagarde. Séance préparatoire à la déclaration commune des ministres des Finances de l’Union qui devrait intervenir d’ici un mois. Mais ce même responsable a insisté sur le fait que le débat resterait centré sur une question. Question que l’on croyait réglée. A savoir, une cryptomonnaie européenne est-elle réalisable ou souhaitable ?
Les doutes se confirment : l’avènement d’un euro-token n’est assurément pas à l’ordre du jour. Défendu notamment par Pierre Person, député de Paris pro-crypto, il risque de se faire désirer.
« Il faut que les acteurs publics, je pense à la Banque Centrale Européenne (BCE), émettent un euro-token, un cryptoactif indexé sur l’euro. A terme, c’est la seule solution pour faire le pont entre le monde des monnaies numériques et des cryptoactifs, mais aussi pour lutter contre les nouveaux services qui seront permis par les grands acteurs privés. Il y a un potentiel énorme aussi pour les acteurs publics. »
Mais, sans préjuger plus avant, attendons de voir ce qu’il adviendra de cette proposition d’euro numérique en décembre prochain. Peut-être que les ministres des Finances auront pris d’ici-là le temps d’écouter des avis avisés. Celui d’Eric Larchevêque par exemple, fondateur de Ledger et partisan d’un crypto-euro digne de ce nom.
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