La blockchain au garde-à-vous : La Défense au défi

21 novembre 2019 - 10:40

Temps de lecture : 5 minutes

Les dernières nouvelles concernant la Chine et ses bataillons en rang derrière la blockchain mettent en lumière l’intérêt des armées pour cette technologie. Retour sur une possible alliance. 

L’armée chinoise en ordre derrière la blockchain

Depuis que la voix du maître s’est fait entendre, la Chine toute entière suit l’exhortation de Xi Jinping à s’emparer de la blockchain. La première armée du monde (plus de deux millions de soldats, mais deuxième budget militaire après les Etats-Unis) a donc sonné la charge pour une adoption de la blockchain en ses rangs. L’affaire serait sérieuse si l’on en croit une récente publication du journal officiel de l’Armée populaire de libération (APL). Cette adoption, relayée par le GlobalTimes, s’accompagnerait d’un système de récompense en tokens. Les modalités d’attribution restent pour le moment confuses. En revanche, ce qui est probable, c’est qu’il sera bien en accord avec la politique de la carotte et du bâton menée à l’encontre des citoyens, dont le dernier avatar est l’instauration du crédit social.

Visibilisée aujourd’hui, la blockchain n’est cependant pas un sujet nouveau dans l’appétence sécuritaire d’un régime militarisé. Dès 2016, un article soulignait déjà les intérêts et bénéfices de la blockchain dans l’éventail militaire chinois.

L’armée, précurseure technologique

Si les métaphores militaires ne sont pas complètement étrangères à la blockchain (la fameuse histoire des généraux byzantins), le complexe militaro-industriel lui a toujours été à la pointe de la technologie. La part des dépenses en recherche-développement ayant été décisive dans les budgets de la Défense des grandes puissances. Il n’est pas étonnant alors, grâce à ses financements prioritaires, que des inventions technologiques de premier plan aient pu éclore au sein du secteur militaire, y être exploitées avant d’être propagées à la société civile. La liste est longue : on peut penser à l’arpanet devenu internet, au wifi, au GPS …

Parenthèse romanesque et tragique

On ne résiste pas à l’envie de narrer brièvement l’histoire rocambolesque à l’origine de ces deux dernières innovations. Née d’un esprit scientifique bouillonnant, ayant accessoirement les allures glamoureuses d’une actrice hollywoodienne. Hedy Lamarr, incarnation orgasmique des années 30, au visage angélique de Blanche-Neige (Walt Disney s’en inspira pour son personnage) était surtout une frondeuse effrontée portée par la passion des sciences. Star pas dupe, enfin reconnue aujourd’hui comme femme de tête qui a contribué à changer la face technologique du monde.

En effet, en 1941, elle invente avec le pianiste George Antheil un procédé de brouillage des radars anti-torpilles par changements aléatoires de fréquences utilisé encore aujourd’hui par le GPS, le Bluetooth et le Wifi. Les deux inventeurs déposent un brevet en août 1942, le proposent à l’Etat Major américain qui, bien sûr, leur rit au nez. Il faut attendre la crise cubaine en 1962 pour qu’une version améliorée de leur technologie soit employée sans qu’elle n’en tire aucun bénéfice.

Dépossédée, elle continue d’inventer, s’efface peu à peu du grand écran et se fait oublier. Selon les légendes noires attachées à ces figures de femmes libres, elle devient atrabilaire, défigurée, alcoolique et kleptomane. N’en jetez plus… même si on sait que le manque de reconnaissance peut tuer à petits feux et singulièrement les femmes de ce genre, du genre illégitime par tradition. En 1997, on lui décerne le prix de l’Electronic Frontier Foundation. « C’est pas trop tôt », grommelle-t-elle, mais elle refuse de se rendre à la cérémonie et meurt trois ans après.

Loin de cette histoire romanesque et tragique, au diapason des vies de toutes ces pionnières ensevelies dans le silence ou dans des notes de bas de page que notre époque repentie s’échine à sortir de l’oubli, revenons au pas de charge à la blockchain et à ce qui pourrait la rendre pertinente dans le domaine militaire

L’armée : un monument de données

Sachant que la blockchain est avant tout une technologie de stockage et de transmission d’informations et que l’armée produit, transmet et s’appuie sur une quantité phénoménale de données, on voit immédiatement le bénéfice qu’elle peut en tirer. Cette dépendance cruciale à l’information crée une vulnérabilité à laquelle peut remédier une technologie dont les caractéristiques sont précieuses. D’abord, la sécurité avec un registre distribué plutôt que l’emploi d’un serveur central plus sensible aux attaques. Ensuite, l’immuabilité promise pour préserver l’intégrité des informations à tous les niveaux.

Mais outre l’aspect de protection de données hautement confidentielles, il y a aussi une complexité du partage de l’information. Dans de telles organisations tentaculaires à multiples acteurs, le problème est épineux. Généralement structurées autour de plusieurs pôles de commandements dont les états-majors (des armées, de l’armée de l’air, de la Marine, de l’armée de terre) et des administrations d’Etat, la coordination n’est pas chose aisée. Chacune de ces entités se caractérisant par une forte culture interne, fonctionnant suivant des logiques spécifiques même si la tendance actuelle est à l’ « interarmisation ». Vilain mot certes, mais qui a le mérite de préparer le terrain à une blockchainisation des processus. Néologisme tout aussi laid mais qui viendrait soutenir une logique d’efficacité par la rationalisation et la mutualisation des structures et des moyens pour une fluidité de l’information préservée.

La blockchainisation de supply chains complexes

Le deuxième intérêt de l’armée pour la blockchain est à l’évidence la logistique. Caractérisés par des supply chain complexes, les Ministères des Armées et autre Pentagone doivent approvisionner, transporter et acheminer des hommes, des femmes et du matériel sur de multiples théâtres d’opération. Empruntant tour à tour ou en même temps, des voies maritimes, aériennes ou routières, les services logistiques font face à des défis importants, notamment dans le suivi des produits sensibles (armes, substances toxiques, etc.).

Dans cette gestion des tâches, des flux, du matériel et des soldats, l’armée n’aurait a priori que des avantages à s’inspirer de ce qui se passe dans le civil. Ainsi le SIA préconise le modèle de blockchain réalisé par le transport maritime Maersk et son partenaire IBM pour le transposer dans le domaine militaire. Le schéma traditionnel est bousculé sinon inversé, l’innovation vient désormais du secteur civil.

Du civil vers le militaire : quand la technologie change de camp

Ce n’est plus la programmation militaire adossée à des industries puissantes, investissant massivement dans la recherche et le développement,  qui irriguent le monde de ses inventions mais le contraire. Aujourd’hui, ce sont les innovations civiles, agiles et rapides, qui s’introduisent dans le champ du Secret Défense.

Les nouvelles technologies et leur facilité d’accès, y compris sur le champ de bataille, a bouleversé la donne tout autant que la nature contemporaine de certains conflits (terrorisme et cyberattaque). Un smartphone suffisant, pour aller vite, à mettre en échec un bataillon de professionnels. La mutation est profonde et a priori irréversible.

Ainsi, nombre d’Etats se préoccupent d’introduire ces nouveautés issues de la société civile au sein de leur défense. Dans leur transformation numérique, des projets commencent à se réaliser. Aux Etats-Unis, dans le programme de 700 milliards de dollars d’investissement pour les armées signé par le président Trump en décembre 2017, la blockchain est explicitement mentionnée dans la Section 1646. Mais le Darpa a déjà lancé sa messagerie sécurisée sans serveur central. En Israël, le principal fabricant d’aéronautique IAI a annoncé développer un produit blockchain pour une solution de cybersécurité. En Russie, comme en témoigne la déclaration à l’agence Tass du PDG de Voentelecom, la blockchainisation des télécommunications de l’armée s’accélère.  Enfin, la France n’est pas en reste, outre toutes les recherches en cours portant sur les apports opérationnels  du protocole dans le secteur militaire, une première mondiale vient d’être dévoilée.

Le Centre de Lutte contre les Criminalités Numériques de la Gendarmerie nationale utilisera dorénavant un smart contract codé sur la blockchain Tezos pour valider certaines transactions.

Une institution et une startup françaises, la France va bientôt vraiment mériter son titre auto-proclamé de blockchain-nation.

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