La Banque des banques plaide en faveur des monnaies numériques et revisite un peu l’histoire
26 juin 2020 - 12:47
Temps de lecture : 4 minutes
Par Nathalie E.
Dans son nouveau rapport annuel publié le 24 juin, la Banque des règlements internationaux (BRI) a développé sans surprise un solide plaidoyer en faveur des CBDCs. Plus étonnant en revanche, la propension du dit rapport à minimiser le rôle catalyseur des cryptomonnaies privées.
Un exercice didactique
Après avoir rappelé l’évidence d’un système solide et efficace de paiement pour faciliter et soutenir la croissance économique, le rapport décrit le système actuel comme inadapté aux exigences de l’époque.
L’heure est à la transformation numérique y compris dans le domaine monétaire, d’où l’invitation adressée aux banques centrales pour qu’elles s’emparent au plus vite de ces fameuses « monnaies digitales »(MDBC). Un argument rhétorique plus qu’une réelle incitation dans la mesure où la numérisation des monnaies souveraines est l’objectif aujourd’hui affirmé, et parfois bien avancé, de beaucoup de pays.
Une BRI pro crypto centralisée
Nombre d’observateurs qui ont relayé cette information, semblent s’étonner d’un supposé « revirement » de la Banque des banques. Or, rappelons que les CBDCs sont l’exacte antithèse de cryptomonnaies décentralisées comme Bitcoin qu’elle a, c’est vrai, longtemps méprisé ou ignoré. De plus, si la numérisation des systèmes de paiement n’était pas son fort comme nous l’observerons plus avant, voilà un moment qu’elle a changé son fusil d’épaule.
En effet, ce rapport annuel ne fait que confirmer l’orientation prise par la BRI depuis qu’elle a créé son BIS Innovation Hub au dernier semestre 2019. Un pôle de soutien aux 60 banques centrales actionnaires dans le domaine des nouvelles technologies avec une attention toute particulière portée aux monnaies numériques de banques centrales. Ainsi, le hub, présidé par le français Benoît Coeuré, a déjà lancé nombre d’initiatives dont des centres d’innovation pour CBDC dit « hub d’excellence ».
Du cash et des CBDCs
Plus récemment, début avril, la BRI s’est aussi fendue d’un rapport livrant un état des lieux des options de règlement en temps de pandémie. La généralisation du paiement mobile ou sans contact a créé des conditions propices à l’émergence de monnaies numériques d’Etat concluait-elle.
Dans sa synthèse annuelle, elle affine son constat sur les habitudes des consommateurs en relevant un paradoxe notable. Si le volume du cash a drastiquement baissé dans les transactions, en revanche, phénomène observé à chaque crise, « « la demande en espèces de précaution a augmenté dans certaines économies ». Une tendance qui ne contrarie en rien l’offre d’un nouveau moyen de paiement fiable et accessible au plus grand nombre appelé, du moins dans les premiers temps, à coexister avec le maintien en circulation de la monnaie fiduciaire.
Une histoire légèrement revisitée
La BRI est donc devenue une partisane résolue des CBDCs. Certes, il lui a fallu du temps avant de prendre conscience des atouts d’une infrastructure numérique de paiement : sécurisation des transactions et inclusion financière notamment. Elle l’a d’abord mollement observée du coin de l’oeil sans grande conviction. Puis elle a commencé à l’envisager comme une possible possibilité, mais à échéance si lointaine que seule une descendance au 3ème degré avait des chances de la connaître. C’est alors que l’actualité est venue bousculer la douce béatitude dans laquelle elle baignait, cet excès de confiance qui auréole les nantis. Déjà Bitcoin lui avait fait hausser le sourcil, froncer le nez. L’audacieuse création de Satoshi Nakamoto l’avait d’abord laissée sans voix avant d’attiser sa mauvaise foi quand la proposition de paiement pair à pair a commencé à avoir de l’écho. Mais face à un marché confidentiel, le mépris ou l’indifférence suffisait.
En revanche, quand Libra est apparue sur la scène avec ses 2 milliards et demi d’utilisateurs potentiels, les banques et les régulateurs du monde entier ont tremblé. Sous le joug de cette menace, mettant en cause leur prérogative monétaire, ils ont fusé de leur torpeur, fusillé le projet de stablecoin de Facebook et retenu la leçon. Face à un système inadapté au nouveau monde qu’ils n’avaient pas vu éclore, il leur fallait succomber au sortilège du numérique. Rien de plus facile : tout leur était déjà apporté sur un plateau. Après, pour le dire un peu rapidement et en négligeant la complexité de la mise en oeuvre qui n’est pas notre sujet du jour, il suffit de l’adapter au besoin de contrôle et de surveillance des Etats.
Progression spectaculaire de la réflexion institutionnelle
Or, à la lecture du rapport, il semblerait que la secousse tellurique provoquée par les cryptos privées soit interprétée différemment. Leur rôle étant minimisé au profit d’institutions financières déjà sur le pont.
L’émission de CBDC n’est pas tant une réaction aux crypto-monnaies et aux propositions de « stablecoin » du secteur privé, mais plutôt un effort technologique concentré des banques centrales pour poursuivre plusieurs objectifs de politique publique à la fois. »
On ne leur fera pas l’affront de relever ici toutes les réflexions déconsidérant la numérisation des monnaies souveraines. Pas plus, le changement de ton des banquiers centraux dès l’annonce de Zuckerberg en juin 2019. On retiendra simplement, puisque seul le résultat, dit-on, compterait, la progression spectaculaire de la réflexion institutionnelle autour du devenir de l’argent.
Les CBDC ont le potentiel pour être la prochaine étape dans l’évolution de l’argent. »
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