Pékin à l’offensive sur «le champ de bataille» des CBDCs
22 septembre 2020 - 18:35
Temps de lecture : 5 minutes
Par Nathalie E.
Un article de Financial News, publication de la Banque populaire de Chine (PBoC), déclare ouvertes les hostilités entre Etats pour gagner la bataille de l’émission de la première monnaie numérique de Banque centrale.
Le yuan numérique, outil géopolitique
L’article intitulé « Nouvelles opportunités de développement pour la monnaie numérique statutaire de la Chine » paru le 19 septembre, relayé par le journal local de langue anglaise China Banking News et par Reuters, annonce que le renminbi version numérique est prêt à être déployé. On s’y attendait, mais ce qui est saillant, c’est qu’il place ouvertement l’enjeu d’un DCEP (Digital Currency Electronic Payment) sur le plan de la stratégie géopolitique.
En effet, sans s’embarrasser de précautions oratoires dont elle est coutumière, la Banque centrale par l’intermédiaire de son organe officiel, a choisi d’adopter un vocabulaire quelque peu belliqueux pour affirmer une position pionnière en matière de CBDC (Central Bank Digital Currency). Elle exhorte donc Pékin à « accélérer le rythme pour s’emparer de la première place » dans la course aux monnaies numériques d’Etats. Course qu’elle qualifie de « nouveau champ de bataille ».
L’enjeu de cette nouvelle guerre froide consistant, selon l’article, à internationaliser la monnaie souveraine chinoise pour réduire la dépendance du pays au système de paiement transfrontalier et interbancaire mondial et ébranler l’ordre monétaire établi. Explicitement, Il s’agit en fait de défier la domination du dollar dans l’économie mondiale.
L’émission et la circulation de la monnaie numérique (chinoise) apporteraient de grands changements à la finance internationale existante. »
PBOC, China Finance
Une guerre technologique
On sait que les relations entre la Chine de Xi Jinping et l’Amérique de Donald Trump ne sont pas des plus cordiales. La relation houleuse entre les deux grandes puissances se joue aussi sur le terrain technologique où leur rivalité n’est un secret pour personne et peut s’évaluer à l’aide de l’arithmétique la plus élémentaire. Ainsi, contre toute attente, l’empire asiatique vient de perdre une bataille dans le registre de la blockchain, fer de lance déclaré du régime chinois. En effet, alors que le géant Alibaba a été la société qui a déposé le plus de brevets DLT (Digital Ledger Technology) cette année, ce sont encore les États-Unis qui, selon un rapport du cabinet de conseil en propriété intellectuelle KISSPatent, emportent la palme du nombre de brevets sur la blockchain. De quoi ombrager un peu plus une concurrence exacerbée et encourager une sortie rapide du renminbi numérique.
Pas de suspense : dans ce registre-là, la Chine est en pôle position. Nous avons relaté maintes fois le testing tous azimuts de son prototype de DCEP. Aussi bien dans de gros centres urbains soigneusement choisis qu’en partenariat avec des géants de l’industrie ou en collaboration avec des banques commerciales d’Etat. La phase-test allant même jusqu’à dévoiler « incidemment » un portefeuille numérique dédié qui semble, aux dires des spécialistes qui l’ont saisi au vol, parfaitement fonctionnel.
Le lièvre chinois et la tortue US
Alors, et même s’il n’y a toujours pas de date officielle, il est évident que le lancement de la nouvelle infrastructure de paiement chinoise est imminente. L’article de Financial News vient juste reformuler les objectifs d’une telle adoption qui, jusque là, prétendait surtout être la solution pour aider à la stabilité économique du pays avant qu’elle ne devienne, post-covid oblige, l’instrument privilégié de la reprise.
Les Etats-Unis, dont le but est de préserver le statut du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale, n’ont pas du tout les mêmes attentes. Leur modèle économique étant hégémonique, il leur a fallu du temps pour se pencher sur la question d’une version numérique de leur monnaie souveraine.
Et même encore aujourd’hui, et alors que nombre d’Etats dans le monde ont pris le virage CBDC, ils semblent hésiter ou du moins avancer à pas menus sur ce chemin-là. Ainsi, pendant que Pékin expérimente son yuan numérique dans de grands centres urbains – une zone de test d’au moins 400 millions d’habitants, soit environ 30% de la population du pays – les Etats-Unis en sont encore à organiser des séances au Sénat pour évaluer le bien-fondé ou pas d’un dollar numérique. On mesure la distance et les préoccupations spécifiques de l’un et de l’autre.
La domination monétaire : une question dépassée ?
Si les Etats-Unis ne paraissent pas plus inquiets que cela face à la menace brandie d’un RMB nouvelle génération – tempérons : certains s’en alarment et oeuvrent à l’élaboration d’un dollar numérique – , c’est que la numérisation du yuan ne garantit pas à elle seule la domination financière mondiale. Il faudrait que celle-ci fédère toute une cohorte de partenaires commerciaux et politiques d’envergure, d’alliés militaires d’importance pour avoir un impact mondial significatif. Et surtout que cette nouvelle version du renminbi soit librement convertible. Car, contrairement au dollar ou à l’euro échangés librement à des taux déterminés par l’offre et la demande, le yuan est peu utilisé en dehors des frontières et est encore très encadré par la Banque centrale.
De plus, des tendances déjà présentes et accentuées par l’ère du Covid-19 rendent peut-être déjà obsolète la question de la domination économico-financière. En effet, selon un rapport de Barclays, l’impact des mesures liées au Covid est susceptible d’accélérer des tendances déjà établies comme la dé-mondialisation. On se dirigerait alors plutôt vers une diminution de l’interdépendance économique entre les pays. Certains arguent même que l’avenir le plus probable réside dans la montée et l’expansion des monnaies locales dans un monde plus décentralisé. La question de savoir qui détient la monnaie de réserve de la planète deviendrait donc de moins en moins pertinente.
Le DCEP, un instrument au service du pouvoir central
En revanche, ce qui est certain, c’est que l’acceptation du DCEP sera obligatoire pour tous les citoyens chinois.
« Conformément aux dispositions légales de remboursement du renminbi, le renminbi numérique est utilisé pour payer toutes les dettes publiques et privées sur le territoire de notre pays, et aucune unité ou individu ne peut refuser de l’accepter si les conditions d’acceptation sont remplies. »
Fan Yifei, vice-gouverneur de la PBoC
Une version contemporaine de la « monnaie du peuple » (renminbi en mandarin) qui risque encore d’accentuer la surveillance des citoyens soumis à un « anonymat contrôlable » selon l’oxymore innocemment prononcé par un responsable de la Banque centrale.
Nous savons que la demande du grand public est de garder l’anonymat en utilisant du papier-monnaie et des pièces de monnaie … nous donnerons à ceux qui le demandent l’anonymat dans leurs transactions. Mais en même temps, nous garderons l’équilibre entre anonymat contrôlable et la lutte contre le blanchiment d’argent, le CTF (lutte contre le financement du terrorisme). Ainsi que tout ce qui est lié aux questions fiscales, aux jeux d’argent en ligne et à toute activité criminelle électronique. C’est un équilibre que nous devons garder. C’est notre objectif. Nous ne cherchons pas à contrôler totalement l’information du grand public. »
Mu Changchun, directeur de l’Institut de recherche sur le DCEP
Et un scénario proprement cauchemardesque, du point de vue occidental, si la Chine arrivait à étendre son outil monétaire hors de ses frontières. Elle aurait alors les moyens de censurer à loisir les transactions qui ne lui plairaient pas. Peut-être, sans doute. Mais les Etats-Unis n’instrumentalisent-ils pas déjà un réseau comme Swift pour appliquer des sanctions sévères aux pays qui ont l’heur de ne pas leur plaire. On en connaît les conséquences désastreuses. Le peuple iranien, par exemple, peut en témoigner.
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