Le musée de l’Ermitage va accueillir une exposition de NFTs
29 mars 2021 - 18:55
Temps de lecture : 5 minutes
Par Nathalie E.
L’Ermitage à Saint Petersbourg, temple splendide et incontournable de l’art à travers les siècles, va accueillir sa première exposition d’art NFT. Cette initiative du 1er musée au monde en nombre d’objets exposés et deuxième derrière le Louvre en nombre de visites, est prétexte à se pencher sur le lien entre les mondes de l’art et les tokens non fongibles qui sont censés garantir l’authenticité et la traçabilité d’une oeuvre grâce à leur inscription dans la blockchain.
Les NFTs, une bulle spéculative mais pas seulement
Les mondes de l’art, au même titre que les autres secteurs de la société, ont été bouleversés par le contexte pandémique : musées et galeries fermés, foire d’art en ligne… Surtout, plus récemment, ils ont connu un choc qui vient bousculer un système de valeur et d’échange séculaire : la ruée sur les NFTs.
Un engouement sidérant qui se chiffre à coup de sommes astronomiques comme les 69,3 millions de dollars du collage numérique Everydays : The First 5000 Days du dessinateur d’images Beeple, vendu aux enchères par la très honorable maison de vente Christie’s.
Un engouement tel qu’il touche également une variété d’objets numériques sur lesquels on n’aurait pas forcément misé sa chemise avant cette incroyable frénésie. Tout s’arrache à prix d’or : mèmes, gifs clignotants, visages pixélisés ( CryptoPunk Alien #2890), coups de pied arrêtés d’un footballeur au summum de son art, fragments de vidéo qu’on retrouve en accès libre sur YouTube, tweet (le premier en version tokenisée de Jack Dorsey s’est vendu pour près de 3 millions de dollars) … Bulle spéculative puisque tout et n’importe quoi semble désormais susceptible d’atteindre des prix stratosphériques ? Peut-être, mais l’intérêt est ailleurs.
Mise en lumière de l’art numérique
Cette folie autour des NFTs aura au moins le mérite de braquer les projecteurs sur un art numérique partagé jusqu’ici par un petit nombre d’initiés que les marchands d’art avaient tendance à regarder avec un peu de condescendance.
Comment commercialiser un truc reproductible à l’infini ? Problème de commerçants alors que les départements d’art contemporain dans le monde l’ont intégré depuis longtemps à leur collection, mais question de survie néanmoins pour les créateurs, créatrices. Or, aujourd’hui avec cette lumière projetée sur ce type de productions, les loosers ont changé de camp. Jeff Koons peut déballonner ses ballons, les milliards n’iront plus seulement gonfler son ego et ses poches pleines.
Une démocratisation de la propriété artistique
Au-delà d’un débat sur la nature du geste artistique qui n’est pas né avec l’éclosion des NFT mais parcourt toute l’histoire de l’art depuis ses origines – l’urinoir de Duchamp étant sans doute l’une de ses expressions les plus connues – , l‘un des aspects intéressants suscité par ces preuves numériques bâties pour la plupart sur la blockchain Ethereum, c’est que la notion de propriété change de nature. Il ne s’agit plus d’acheter une oeuvre et de la planquer chez soi mais plutôt de l’exposer au vu et au su de tous. L’art ou assimilé serait en passe de devenir un bien commun, pas seulement réservé à une élite fortunée. Ce qui n’empêche nullement d’aller déambuler dans des salles de musée pour goûter ce plaisir à nul autre pareil d’un moment d’intimité avec une oeuvre recherchée ou simplement rencontrée au détour d’un regard, pas nécessairement achetable…
C’est juste, qu’en devenant immatérielle, la notion de propriété peut faire évoluer les rapports entre artistes et collectionneurs. Les uns et les autres pouvant, dans l’idéal, dorénavant se passer d’intermédiaires et entrer en contact directement via des plateformes dédiées. Plateformes qui, soit dit en passant, prolifèrent au rythme de la vague enflant comme un tsunami. Chacune possédant ses caractéristiques propres. Entre SuperRare qui sélectionne ses artistes et ne propose que des éditions uniques, ou les plus grand public OpenSea et Rarible où chacun peut tenter sa chance (de moins en moins, puisqu’elles sont victimes de leur succès) pour y exposer tous les objets numériques imaginables, on ne compte plus les AsyncArt, KnowOrigin ou Minbase sans oublier la pionnière des frères Winklevoss, la Nifty Gateway qui propose des éditions multiples.
L’art et l’argent : une vieille histoire
On peut observer le phénomène avec une petite moue dégoûtée pour ce rapport trop exhibé entre l’art et l’argent. Mais là non plus ce n’est pas une nouveauté. Tout un microcosme a toujours prospéré autour des oeuvres dans un système souvent très opaque. L’artiste étant souvent le dindon de la farce, quand il n’est pas mort prématurément (même symboliquement) de ne pas avoir pu vivre de son art.
On caricature à peine mais au moins avec les NFTs, le créateur, la créatrice peut en théorie reprendre ses pleins droits sur son oeuvre. En associant contrats intelligents et actifs non fongibles, l’artiste peut même recevoir des royalties quand sa pièce fait l’objet d’une revente. Un facteur non négligeable qui est susceptible d’attirer de plus en plus de peintres ou de plasticiens relevant d’une sphère plus conventionnelle. Surtout, cette nouvelle donne va contribuer à traiter de façon plus symétrique art numérique et art physique.
Les NFTs ont déjà la cote dans les lieux d’exposition
Aussi, que l’un des plus grands musées du monde accueille en ses murs une exposition dédiée aux NFTs, dans le cadre d’un programme de valorisation de nouvelles formes d’expression artistique, n’est pas vraiment une surprise. Dans un communiqué publié sur son site Web, le musée de Saint Petersbourg décrit les NFTs comme un versant inédit de l’art contemporain, notamment dans ce fameux lien à la propriété artistique.
Les tokens non fongibles sont devenus une nouvelle forme de cession des droits sur une œuvre d’art, grâce à la technologie blockchain, qui permet un contrôle sans ambiguïté des droits d’auteur et de la propriété. »
En ce sens, cette exposition de NFTs, dont la forme qu’elle prendra n’est pas encore définie, s’inscrit pleinement dans le programme Ermitage 20/21 qui succède à deux autres explorations de la création contemporaine : «L’innovation comme technique artistique» (2018) et «L’intelligence artificielle et le dialogue des cultures» (2019).
L’initiative du temple russe n’est pas isolée. D’autres musées ou institutions artistiques accueillent ou prévoient d’accueillir des manifestations autour des NFTs. L‘Avant Galerie Vossen, à Paris, met déjà en lumière des NFTs dans son exposition traitant des rapports entre art et finance à l’heure numérique. Certaines oeuvres n’y sont d’ailleurs monnayables qu’en Ether.
La question des droits d’auteur reste problématique
Mais il ne s’agit pas d’idéaliser la version numérique d’un art qui serait désormais démocratisé, décentralisé et transparent. D’abord, il peut vite être rattrapé par les lois du marché. Il l’est déjà à certains égards. Surtout, et au-delà de la notion de réappropriation de la création par son créateur, les NFTs ne résolvent pas vraiment la question cruciale des droits d’auteur. N’importe qui pouvant s’approprier une oeuvre trouvée sur le Net et la tokeniser (de nombreux tutoriels existent en ce sens).
Question d’autant plus compliquée comme l’explique Primavera de Filippi, chercheuse au CNRS mais aussi artiste numérique, créatrice notamment de Plantoid, qu’un NFT ne représente pas une copie de l’oeuvre en tant que telle, mais uniquement son empreinte numérique, son « hash ». A ce titre, il faut créer de nouvelles bases juridiques pour permettre aux auteurs de faire valoir leurs droits. La rareté numérique doit être encadrée pour assurer la pérennité de l’art sous cette forme innovante.
Quant aux marques, équipes sportives ou icônes qui surfent sur cette vague des NFTs en créant des cartes à collectionner ou des souvenirs numériques qui connaissent un succès populaire démesuré, elles ont le mérite d’amener tout un flot de nouvelles personnes à s’intéresser indirectement à la cryptomonnaie. Une façon d’accélérer son adoption toujours bonne à prendre pour l’écosystème.
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