La blockchain light de Carrefour – État des lieux et explication
31 octobre 2019 - 07:47
Temps de lecture : 4 minutes
Par Nathalie E.
De nouveau parée de (presque) toutes les vertus après un passage à vide, les technologies blockchain se répandent à vitesse grand V que ce soit dans le domaine de la traçabilité alimentaire ou dans la bouche de nos dirigeants. Le bitcoin, non ! mais la blockchain, oui ! Tel est l’un des psittacismes qui scande notre perspicace aujourd’hui. Voici donc le premier épisode de notre série sur l’invasion de la blockchain.
Dans un monde d’insécurité alimentaire, nourri par des scandales réguliers, la traçabilité des produits est devenue une préoccupation majeure. Beaucoup d’acteurs du marché tentent de rassurer les consommateurs. Ainsi, le pionnier Carrefour projette de déployer sa solution de suivi blockchain sur l’ensemble de ses filières qualité d’ici 2022.
Des produits estampillés blockchain
La blockchain permet d’enregistrer des données qui sont authentifiées, certifiées et immuables. Voilà peut-être, pour aller vite, les caractéristiques qui ont séduit le géant de la distribution qui en est à son 11ème produit « blockchainisé ». Le camembert de Normandie fleurant bon le terroir et la technologie est devenu, depuis septembre, le nouveau fleuron de sa FQC (Filière Qualité Carrefour). Avant lui, inaugurant le voeu pieu de transparence, c’est le poulet d’Auvergne qui a vu défiler sa vie en un clic.
L’histoire débute en mars 2018. La promesse de l’enseigne : suivre la volaille plume à plume, du champ au rayon réfrigéré. Pour ce faire, chaque acteur de la chaîne d’approvisionnement (producteur, transformateur, distributeur) renseigne les informations de traçabilité qui le concerne. La liste est longue et se veut exhaustive : date, bâtiments d’élevage, circuit de distribution, traitement, etc. Et en bout de chaîne, le client scrupuleux dispose, via un QR code, de toutes les informations relatives au produit.
Un moyen d’optimisation des processus existants
Si, en dégainant son smartphone, il apprend effectivement tout du volatile convoité – le lieu et le mode d’élevage, le nom de l’éleveur, l’alimentation (céréales sans OGM)… – il n’a néanmoins pas la possibilité de vérifier par lui-même la validité de l’information présentée. Or, les données initiales peuvent être erronées soit accidentellement, soit intentionnellement. Danger d’autant plus grand qu’elles n’ont pas été fournies par un organe indépendant. On garde tous en mémoire des histoires de fraude où des acteurs de l’agro-alimentaire se sont ligués pour berner les consommateurs. En ce sens, la blockchain des poulets de Carrefour ne diffère en rien d’un système traditionnel de traçabilité. Elle est juste un moyen d’optimiser les processus existants au lieu d’en concevoir de nouveaux.
Quoi qu’il en soit, l’enseigne ne peut que se réjouir. Les ventes des poulets labellisés blockchain ont connu un bond de plus de 20%. Le distributeur a donc étendu son initiative et renforcé sa présence au sein de la plateforme IBM Food Trust.
Blockchain light : les technologies de registres distribués (DLT)
Cette solution modulaire, qui repose sur un réseau collaboratif, est censée renforcer la visibilité et la responsabilité des acteurs tout au long de la chaîne d’approvisionnement alimentaire. Walmart, Unilever, Kroger ou Nestlé ont été les premiers à l’utiliser. C’est d’ailleurs avec ce dernier que Carrefour a noué une alliance pour blockchainiser l’intemporelle purée Mousline.
Mais au-delà, s’ils partagent les mêmes outils, les différents acteurs du consortium, parfois concurrents, ne partagent pas leurs données. D’ailleurs, la technologie hyperledger sur laquelle s’appuie le Food trust n’est pas à proprement parler une blockchain. C’est un projet open source initié par la plateforme Linux et « sponsorisé » par IBM. Il s’agit donc plutôt d’un portefeuille de projets DLT (Delivery Ledger Technologies). Une technologie de registres distribués « permissioned blockchain » dont l’adhésion est contrôlée. L’ensemble des transactions est confidentielle et visible uniquement pour les participants impliqués. Tout le contraire des blockchains publiques « trustless » où, doit-on le rappeler, tout est transparent et accessible à tous sans passer par un tiers dit de confiance.
Coopétition pour créer un standard international de traçabilité
En rejoignant les autres gros acteurs de la plateforme IBM Trust Food, Carrefour entend participer à la mise en place d’un standard international de traçabilité. L’enseigne a donc adopté une stratégie de plus en plus répandue : collaborer avec des concurrents pour capter un bénéfice commun.
Cette approche suppose de dépasser la représentation que l’on peut avoir de la notion de « concurrence », synonyme d’adversité. Un terme réactualisé par la chercheuse Primera de Filippi l’illustre éloquemment : coopétition. Ce mot-valise fusionnant coopération et compétition s’origine dans l’injonction de Machiavel : « Si tu peux tuer ton ennemi, fais-le, sinon fais t’en un ami ». La technologie blockchain, ou assimilée, favorise donc le fait d’être à la fois partenaire et concurrent. Atout irremplaçable dans une époque qui prône les valeurs de partage et de collaboration.
Vraie ou ersatz de blockchain, le pari est gagnant
Boosté par le succès, Carrefour compte déployer le dispositif à tous ces produits alimentaires FQC d’ici 2022. Il envisagerait même d’y inclure à terme d’autres secteurs comme le textile. A sa suite, Casino et Auchan se sont également lancés. Le premier avec la jeune pousse française Tilkal, et le second avec la startup allemande Te-Food. Reste à savoir si eux aussi n’y verront qu’un moyen de réduire les coûts et d’optimiser les processus ou si leur objectif sera plus ambitieux. A savoir, arrêter de considérer la blockchain comme un simple outil et l’envisager plutôt comme un nouvel espace à conquérir. Dans la perspective d’un marché de 10 milliards d’euros à l’horizon 2022, les appétits et les stratégies s’aiguisent. On n’a pas fini de manger blockchain…
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