Peu probable que la Russie utilise la crypto pour contourner les sanctions économiques

02 mars 2022 - 16:58

Temps de lecture : 5 minutes

De nombreux responsables politiques en Europe ou aux Etats-Unis ont exprimé une inquiétude commune quant au fait que la Russie serait susceptible d’utiliser la crypto pour contourner les sanctions économiques qui la frappent depuis l’offensive guerrière de Poutine en Ukraine. Cette crainte serait, selon nombre d’experts de l’écosystème, totalement infondée et en premier lieu, pour des raisons structurelles.

Haro sur les cryptos

A mesure que l’offensive russe en Ukraine s’intensifie, des voix de plus en plus nombreuses entament le refrain d’une crypto à surveiller de près. C’est le vice-premier ministre du pays agressé, Mykhailo Fedorov, qui a d’abord demandé dès le début du conflit aux principales plateformes d’échange crypto de geler les adresses des utilisateurs russes.

Une proposition qui a reçu une fin de non-recevoir de la part de Kraken et de Binance qui desservent encore le pays. Cette dernière, qui a fait un don de 10 millions de dollars à l’intention de la population civile ukrainienne, a déclaré par la voix de son son PDG CZ qu’elle était apolitique, soucieuse uniquement de l’aspect humanitaire du conflit. Quant à Jesse Powell, le PDG de Kraken, s’il a évoqué dans un long fil twitter l’idéal libertaire et donc pacifique de la communauté crypto, il reconnaît que sa plateforme centralisée se conformera à une possible interdiction mais uniquement en cas d’exigence légale.

Hillary Clinton déçue de la non-allégeance des plateformes crypto

Ces réponses n’ont pas eu l’heur de plaire à certains dirigeants ou ex-responsables politiques à l’instar d’Hillary Clinton qui se dit « déçue » de ce refus. Dans un récent entretien accordé à MSNBC, elle affirme que tout le monde devrait faire « autant que possible » pour isoler économiquement la Russie, appelant à une action concertée.

« Cette pression aura un impact absolu sur Poutine. Je pense que le département du Trésor, je pense que les Européens devraient examiner comment ils peuvent empêcher les marchés de la cryptographie de donner une issue de secours à la Russie. »

Dans la foulée, la sénatrice démocrate Elizabeth Warren, ne ratant jamais une occasion de diaboliser les cryptos, s’est exprimée à sa manière, toujours très nuancée.

Les cryptomonnaies risquent de saper les sanctions contre la Russie, permettant à Poutine et à ses copains d’échapper à la douleur économique. Les régulateurs financiers américains doivent prendre cette menace au sérieux et renforcer leur contrôle des actifs numériques.

Elizabeth Warren sur Twitter

Un appel unanime à encadrer au plus vite les cryptomonnaies

Un appel au diapason d’exhortations déjà entonnées par d’autres personnalités de la scène internationale. Christine Lagarde, présidente de la banque centrale européenne, plaidant pour sa part pour une adoption rapide de MiCA, cadre réglementaire appliqué aux actifs numériques, arguant qu’il pourrait empêcher la Russie de contourner les récentes sanctions prises à son encontre. L’UE devait initialement se prononcer lors d’un vote prévu le 28 février. Mais la consultation sur MiCA a été annulée à la demande du député européen allemand Stefan Berger,  justifiant que la réglementation pourrait être « mal interprétée et comprise de facto comme une interdiction ».

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La précipitation, même contrariée, à vouloir réguler strictement les cryptomonnaies sous la pression d’une actualité belliqueuse, semble quelque peu disproportionnée au regard des experts du secteur. Pour un certain nombre d’entre eux, la menace brandie d’une cryptomonnaie qui aiderait la Russie à échapper au tir groupé des mesures économiques prises à son encontre est irréaliste.

Le recours aux cryptomonnaies de la Russie n’est pas envisageable

Rappelons qu’en réaction à l’invasion de l’Ukraine, les Etats-Unis et les membres de l’Otan ont déployé un nombre sans précédent de sanctions contre la Russie. L’une des plus efficaces pour la paralyser économiquement a été de la couper de Swift, le plus grand réseau de transactions financières au monde. Dans les faits, les transactions relatives au secteur de l’énergie ne sont pas concernées, la Russie étant notamment le premier fournisseur de gaz de l’Allemagne.

Un autre train de mesures consiste à geler les actifs de la banque centrale de Russie et les avoirs à l’étranger des proches du régime. Le but, empêcher Vladimir Poutine de se servir des réserves, de l’ordre de 650 milliards de dollars, dont plus de la moitié libellée en dollars, en euros et en livre sterling, pour financer l’invasion de l’Ukraine ou pour stabiliser un rouble en chute libre.

Mais quoi qu’il en soit, inquiets des conséquences de leurs propres sanctions, les Etats-Unis, le Canada, la Commission européenne, la France, l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni redoutent maintenant que la Russie de Poutine trouve une parade à cette asphyxie. Les cryptomonnaies en tant que réseau déconnecté du système traditionnel deviennent donc la cible privilégiée de leur inquiétude.

Or, si on se fie aux paroles de certains experts, tous ces responsables pèchent par ignorance, non dénuée doit-on le préciser d’arrière-pensées souvent répressives.

Les réseaux cryptos trop petits et trop transparents

Ainsi Jake Chervinsky, responsable de la US Blockchain Association, avance trois arguments selon lesquels le recours aux cryptomonnaies n’est pas envisageable. Le premier relève du bon sens dans la mesure où les sanctions ne se limitent pas au dollar américain. En effet, il est désormais illégal pour toute entreprise ou citoyen américain d’effectuer des transactions avec le Russie que ce soit avec « de l’or, des coquillages ou des bitcoins. »

Le deuxième lui, est d’ordre structurel. D’après lui, les réseaux crypto seraient incapables d’absorber même une partie des transactions internationales de la Russie et d’accueillir l’afflux de plusieurs dizaines de milliards de dollars de liquidité provenant d’industriels ou d’oligarques russes cherchant à mettre leurs avoirs à l’abri. Les marchés des cryptos étant selon ses termes « trop petits » mais également « trop transparents ». En d’autres termes, si le recours aux réseaux crypto s’avérait possible, la Russie se retrouverait coincée aux entournures ne pouvant dissimuler ses transactions. La transparence de la blockchain étant « un moyen de dissuasion naturel » pour éviter l’évasion selon un enquêteur sur la criminalité crypto cité par Cointelegraph. Ce registre qui valide toutes les transactions en cryptomonnaies, permettrait aux gouvernements occidentaux d’identifier très vite de possibles violations. De fait, une utilisation directe des cryptos pour vendre du pétrole ou du gaz reste tout à fait improbable.

Enfin, dernier argument déployé par Chervinsky, c’est que la Russie est loin d’avoir réussi à construire une infrastructure crypto significative. Le cadre législatif lui-même n’est pas au point. En effet, oscillant longtemps entre flou juridique et volonté répressive, ce n’est que début février qu’un projet de loi reconnaissant aux cryptomonnaies un statut « analogue  » à celui des devises étrangères a surgi au-devant de la scène, en attente d’approbation à la Douma.

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Une inquiétude légitime ?

A la décharge de l’inquiétude des autorités occidentales, des pays comme la Corée du Nord ou l’Iran ont bien utilisé des cryptomonnaies pour résister aux sanctions économiques. Le premier à travers des attaques informatiques qui lui ont rapporté des milliards de dollars américains ; le second en usant de son énergie à bas coûts pour miner du BTC. Mais question échelle, on est loin de la « grande Russie » et de ses besoins financiers immenses.

De même, le rebond du bitcoin, connaissant une hausse de 15% de son prix depuis les premières sanctions occidentales contre la Russie et l’explosion de ses échanges avec le rouble, pourraient être interprétés comme un indicateur du « péril » à venir. Mais il semblerait, au vu des transactions observées, qu’il s’agit plutôt d’une réaction de citoyens cherchant à échapper à la dévaluation de leur devise nationale. De fait, du côté ukrainien, la hryvinia s’échange aussi abondamment contre du bitcoin ou de l’USDT.

Les cryptos deviennent un enjeu géopolitique crucial

Mais la liberté des peuples à disposer de leurs revenus ou de leur petite épargne semblent être le cadet des soucis des dirigeants, Poutine au premier chef qui, via la banque centrale de Russie, prévient les citoyens que le système pourrait s’en prendre à leurs économies, évaluées à 750 millions de dollars, si les sanctions occidentales étaient maintenues.

Si tous les fonds qui sont à l’étranger sont bloqués, le gouvernement n’aura pas d’autre issue que de saisir tous les dépôts de la population pour sortir de cette situation.

Nikolai Arefiev, vice-président de la commission de politique économique du parlement russe au média News.ru

Un abus de pouvoir qui ne semble pas décourager la coalition pro-Ukraine cherchant à savonner la dernière planche de salut des habitants pour assurer leur survie et ce, au mépris de l’aide précieuse et facilement estimable apportée par les cryptomonnaies dès les premiers coups de canon. Ainsi l’Ukraine a reçu à ce jour près de 38 millions de dollars de soutien en bitcoins, ethers, DOT, stablecoins et même en NFT d’après les ressources du cabinet spécialisé Elliptic.

Un aspect nullement mis en lumière par nos responsables qui préfèrent agiter la crypto comme un épouvantail pour imposer probablement une réglementation encore plus stricte à son industrie, devenue brutalement un enjeu géopolitique crucial.

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