La fiscalité des cryptos : une affaire d’Etats très perfectible

03 octobre 2020 - 18:46

Temps de lecture : 4 minutes

PWC, le géant de l’audit, vient de publier un rapport sur la fiscalité mondiale des cryptomonnaies. Il démontre que les actifs numériques sont désormais pris au sérieux par les régulateurs mais que leur cadre réglementaire doit être largement amélioré pour s’adapter au rythme des innovations du secteur.

Le Liechtenstein, meilleur élève

Si aujourd’hui, la majorité des pays ont adopté un cadre législatif et juridique sur la fiscalité des cryptomonnaies, le rapport de PWC, qui repose sur des informations recueillies dans plus de 30 juridictions, montre, comme attendu, des distinctions importantes entre les Etats.

Le cabinet conseil a déterminé un classement à partir d’un indice élaboré par ses soins. Ce PWC Crypto Tax repose sur vingt critères liés à la fiscalité des cryptomonnaies. Une grille d’évaluation qui lui a permis d’observer si les pays avaient ou non appliqué des directives quant à tous les aspects concernés. C’est le Liechtenstein qui arrive en tête, suivi de Malte, de l’Australie et de la Suisse. La France quant à elle, occupe la septième place du classement.Une position assez honorable liée vraisemblablement à son visa AMF (Autorité des Marchés Financiers) et au statut de prestataires de services sur actifs numériques (PSAN), créé dans le cadre de la loi PACTE, qui sera obligatoire à partir du 18 décembre 2020.

Ce classement laisse apparaître que la plupart des pays se sont principalement contenté jusqu’à présent d’appliquer aux transactions en cryptomonnaie les lois ou politiques existantes plutôt que d’en adopter de nouvelles. Ils se sont aussi essentiellement préoccupés d’imposer les plus-values générées par l’achat et la vente de ces actifs numériques, de taxer les revenus du minage et de percevoir la TVA sur l’activité professionnelle de trading. Seules quelques rares juridictions ont commencé à considérer l’imposition sur les tokens reçus gratuitement (les airdrops ou les hard forks) ou sur les revenus passifs du staking.

Difficulté pour les régulateurs à suivre le rythme de l’innovation du secteur

Si l’étude montre que les autorités fiscales, à l’échelle planétaire, témoignent d’une attention de plus en plus accrue à l’égard de cette industrie, elle atteste aussi d’une méconnaissance profonde de l’écosystème. En effet, face à l’émergence d’un tel espace disruptif, elles ont réagi avec leurs vieux réflexes, si peu adaptés aux rouages d’un monde économico-financier 2.0. Le retard est patent et augure mal du positionnement institutionnel face à l’univers encore plus complexe de la Finance décentralisée (DeFi). Déjà dépassés, les régulateurs le sont encore davantage.

Reconnaissons que face à un secteur bouillonnant de créativité, multipliant les initiatives innovantes, où même les investisseurs avertis ont parfois du mal à se repérer, il est compliqué de ne pas l’être.

Ce que nos recherches montrent, c’est que les directives émises par de nombreuses autorités fiscales sont déjà dépassées. (…) Ce dont nous avons vraiment besoin, et qui fait défaut dans presque toutes les juridictions, ce sont des directives fondées sur des principes qui conviennent à la nouvelle économie décentralisée.»

Peter Brewin, associé fiscal chez PwC Hong Kong 

Il est vrai qu’aucun pays aujourd’hui n’a adopté de directives fiscales sur toute la panoplie qui compose à l’heure actuelle la finance décentralisée : emprunts et prêts crypto, jetons non fongibles (NFT), actifs tokenisés… Ce qui s’avère problématique quant aux 10 milliards de dollars, selon les données de DeFiPulse, verrouillés dans des protocoles DeFi. Une insécurité fiscale et juridique forcément dommageable pour les entreprises du secteur, susceptible de freiner leur développement et de raboter leur ambition à l’internationale.

Préconisations du rapport PWC

Aussi, le rapport préconise t-il, face à un écosystème en mouvement perpétuel, d’adopter une réglementation qui définirait les grandes orientations fiscales et juridiques sans les figer. Des principes mais pas de prescriptions limitatives.

L’étude de PWC suggère aussi qu’en matière de taxation, il s’agirait de viser la simplification. Pour en finir avec un casse-tête souvent source d’erreur, le leader mondial du conseil invite en effet les autorités compétentes à réfléchir, comme dans la finance traditionnelle, à des prélèvements à la source.

Autre point sensible abordé par le rapport : le fait que Bitcoin soit le plus souvent considéré comme une forme de propriété et non comme une monnaie. Si certains pays, comme Israël, sous l’impulsion de quatre membres de sa législature, recommande que les actifs numériques bénéficient d’un traitement fiscal équivalent à la monnaie fiduciaire, les Etats en général y sont rétifs.

Miser sur la collaboration entre institutionnels et acteurs de l’industrie crypto

Cette assignation de Bitcoin à une forme de propriété implique des opérations de taxation abusive qui, ajoutée à la confusion réglementaire, n’encourage pas son adoption, notamment auprès des institutionnels. Si les Etats envisagent l’écosystème crypto dans son ensemble comme un moteur de croissance, il faut rapidement s’acheminer vers des règles fiscales claires. Un pari incertain même si la perpective se veut résolument optimiste.

Bien qu’il y ait actuellement un manque d’orientation probant, la situation évolue rapidement. Les autorités fiscales et les décideurs apprennent encore comment l’industrie fonctionne. Nous nous attendons à ce que le changement dans le paysage fiscal soit aussi rapide que celui de l’industrie cryptographique dans les prochaines années. »

Peter Brewin, associé fiscal chez PwC Hong Kong

Dernier point : pour faire progresser la conjonction entre deux mondes a priori très différents, sinon antagonistes, le rapport insiste sur l’impérieuse nécessité d’une collaboration entre responsables académiques et acteurs de l’industrie crypto. Une recommandation presque superflue tant les professionnels du secteur ont depuis longtemps saisi son importance. On ne compte plus les associations ou organisations qui, à échelle nationale ou internationale oeuvrent pour une concertation de tous les instants.

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