Premier livre blanc pour un dollar numérique

01 juin 2020 - 07:18

Temps de lecture : 5 minutes

La Digital Dollar Foundation vient de publier un livre blanc , le « Digital Dollar Project », exposant différentes pistes susceptibles d’être explorées pour créer une version numérique du dollar. Regardons-y de plus près.

Un White Paper ambitieux

J. Christopher Giancarlo, ancien président de la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), qui a été l’un des premiers à alerter sur la nécessité pour les Etats-Unis de se doter d’une monnaie numérique, est le fondateur du collectif d’experts la Digital Dollar Foundation. C’est de ce laboratoire d’idées qu’est né le premier livre blanc (White Paper) sur une CBDC américaine.

Version numérique de la devise souveraine qui permettrait au dollar, selon ses concepteurs, de garder son statut de monnaie de réserve mondiale, quelque peu bousculé aujourd’hui, en élargissant ses capacités. Capacités qui ne se résument pas à l’inclusion des citoyens mal ou non bancarisés qui ont subi les ratés de la distribution des stimulus monétaires mais qui couvriraient tout un champ d’usage rendu possible par la tokenisation du dollar. Le White Paper s’attarde ainsi longuement sur la distinction à opérer entre un dollar numérique simplement basé sur un compte (suffisant pour l’octroi de l’aide gouvernementale) et un dollar numérique tokenisé qui permettrait des paiements nationaux et internationaux. de façon rapide, efficace et à moindre frais .

En collaboration avec le cabinet conseil Accenture qui a déjà oeuvré sur d’autres prototypes de CBDC, notamment pour la RiskBank suédoise, le groupe a publié le fruit de ses réflexions ce vendredi.

Une infrastructure à deux niveaux

S’appuyant sur le système financier actuel , le document plaide pour une CBDC utilisant « une architecture à deux niveaux ».

Un système bancaire à deux niveaux préserve l’architecture de distribution actuelle et ses avantages économiques et juridiques connexes, tout en encourageant l’innovation et l’accessibilité. »

Un topo un peu convenu pour suggérer un modèle classique où ce serait la Fed (la banque centrale américaine) qui serait l’émettrice des dollars numériques détenus par les banques commerciales. Celles-ci agiraient en tant qu’intermédiaires entre la Réserve fédérale et les utilisateurs. Elles distribueraient les fonds à la manière d’un distributeur automatique selon l’expression employée. Et Les utilisateurs pourraient soit les stocker sur leurs comptes bancaires, soit les conserver sur leurs propres portefeuilles numériques.

Illustration montrant le modèle de distribution à deux niveaux de l'argent physique et des dollars numériques symbolisés
Schéma illustrant le modèle de distribution à deux niveaux

La Réserve fédérale aurait toujours le contrôle de la politique monétaire impliquant la distribution de la monnaie numérique via les banques commerciales comme cela se fait aujourd’hui avec le cash, même si le but n’est pas de remplacer l’argent liquide. En fait, le dollar numérique constituerait une forme d’argent qui n’exclurait pas, pour le moment, les existantes. Mais en imitant assez étroitement l’argent physique, il faciliterait les transactions entre pairs. De même, les banques commerciales, comme dans le circuit traditionnel, seraient en mesure de prêter des fonds.

A moins que le dollar numérique ne soit placé dans un stockage sécurisé ou une solution de dépôt, une fois échangé contre des soldes dans un compte bancaire, il est fongible avec d’autres fonds comme il l’est dans le bilan d’une banque;

Digital Dollar project

Une technologie de registre distribué

Concernant la technologie, le comité consultatif de 30 experts semble, pour éviter notamment l’écueil de la double dépense, pencher vers une DLT (Distributed Ledger Technology) et son volet d’argent programmable. En misant, comme nous l’avons précédemment évoqué, sur la collaboration entre organisations publiques et privées pour, peut-être aussi, valider les transactions.

Nous anticipons, soutenons et s’ouvrons à toutes les formes de collaboration public-privé pour conduire cette vague d’innovation. Bien que le soutien de la banque centrale soit implicite dans les CBDC, les cas d’utilisation, les services et l’infrastructure créeront des opportunités pour beaucoup de participer.

David Treat, directeur général d’Accenture

La protection de la vie privée

L’un des points d’achoppement de l’émission d’une CBDC à l’intention du grand public est la préservation de la vie privée. Entre ceux qui pensent, comme l’ancien secrétaire américain du Trésor, Larry Summers, que l’argent aujourd’hui est trop privé et qu’une version numérique du dollar devrait faciliter une plus grande surveillance des opérations financières et d’autres qui au contraire jugent l’intrusion de l’Etat de plus en plus insupportable et prône le respect de la confidentialité dans la mise en oeuvre d’une CBDC, il existe un fossé irréconciliable.Ce qui est sûr, c’est qu’un e-dollar pourrait constituer une menace à l’intégrité des données de l’utilisateur s’il était réalisé sans dispositions appropriées.

Le livre blanc émet donc le souhait d’un certain niveau de confidentialité mais sans vraiment proposer de solutions. Certes, les détails des soldes ou des transactions de faible valeur pourraient rester confidentiels, de la même manière que la circulation des petits montants en espèces. Mais pour le reste, le White Paper s’en remet à l’Etat en faisant référence au quatrième amendement. Disposition législative qui pourrait fournir une protection de la vie privée s’il s’appliquait à la monnaie numérique.

Notre intention est de soulever des sujets clés comme l’interaction entre la confidentialité et les exigences légales et réglementaires applicables. Nous pensons que la technologie a évolué vers un état où il est possible à la fois de permettre la confidentialité et de respecter les cadres de contrôle nécessaires.

David Treat, directeur général d’Accenture

Les prochaines étapes consisteront en une série de tests dans le cadre de programmes pilotes avant l’expérimentation proprement dite. Ils seront évalués sur la base d’un certain nombre de critères comme l’impact du token (jeton) sur la masse monétaire, l’exploitation commerciale, le respect des lois AML/KYC…

Un calendrier qui s’accélère

Au regard de l’entêtée réticence des Etats-Unis à envisager une monnaie numérique alors que de nombreux pays s’étaient déjà frénétiquement engagés dans la course aux CBDCs, les progrès accomplis en quelques semaines sont assez fulgurants. Mais J. Christopher Giancarlo reste assez prudent.

Nous sommes ici pour faire avancer la conversation, pour apporter réflexion, expérience et expertise. Nous laisserons aux décideurs politiques le soin de définir le rythme (…) Ce processus prendra du temps (mais) nous devons commencer maintenant.

Se positionnant toujours en tant que première puissance mondiale, les Etats-Unis font comme s’ils avaient le choix, comme s’ils avaient le temps. Or, la crise inédite, dont les conséquences dommageables sont encore loin d’être toutes estimées, a déjà accéléré la prise de conscience d’un système monétaire obsolète. Mais surtout le contexte international qui voit fleurir partout des initiatives pour dé-dollariser l’économie, pour échapper aux sanctions du gendarme américain, pour s’autonomiser par rapport au billet vert crée une situation d’urgence qui ne s’accommodera certainement pas du délai de 5 à 10 ans annoncé avant la mise en service d’un dollar numérique.

L’empire américain aura déjà vacillé sous les coups de boutoir d’un yuan numérique quasiment prêt, qui n’advient pas, bien sûr, pour faire de la simple figuration, ou d’une initiative privée (Libra, Visa, Gram ou un autre à venir) qui affaiblira le dollar en tant que monnaie de règlement international. Aussi, il est évident qu’en dépit d’un calme apparent, le temps n’est plus aux tergiversations mais à la mise en oeuvre rapide d’une version numérique du dollar s’il tient à son rang sur l’échiquier mondial. Ce White Paper en est assurément le signe annonciateur.

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