Laisser échouer les plateformes crypto en péril plutôt que de les renflouer

22 juin 2022 - 12:58

Temps de lecture : 4 minutes

Alors que le marché crypto traverse une période difficile, mais attendue, la cohorte de plateformes en péril ombrage un peu plus un climat déjà morose. Il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur tout l’écosystème, comme le font certains tenanciers de l’ordre traditionnel pour imposer des règles assassines, mais de se demander que faire de ces acteurs importants du dernier bull run qui ont reproduit les pires aspects hérités du système financier traditionnel, en prenant des paris hasardeux avec les fonds de leurs clients. De ce point de vue-là, deux visions s’affrontent : celle d’un acteur majeur du marché qui soutient leur renflouement et celle d’une régulatrice pro-crypto qui refuse de sauver des structures aux pratiques douteuses.

FTX en soutien

D’un côté, il y a Sam Bankman-Fried, le patron de FTX, qui considère qu’il en va de sa responsabilité d’aider les entreprises crypto en crise. Pour lui, il s’agit d’empêcher les créances irrécouvrables de se propager à tout le secteur. Aussi, joignant le geste à la parole, FTX a fourni au prêteur crypto BlockFi plutôt mal en point, un crédit renouvelable de 250 millions de dollars. La semaine dernière, c’était la société commerciale du jeune et ambitieux PDG, Alameda Research, qui est venue au secours du courtier crypto canadien Voyager Digital. A la clé, un prêt de 200 millions en USDC et une « ligne de crédit renouvelable » de 15 000 bitcoins à utiliser « si nécessaire pour protéger les actifs des clients ».

Des interventions salutaires ? Ce n’est pas forcément l’avis de tout le monde et notamment de Heister Peirce, l’une des commissaires de la Securities and Exchange Commission (SEC) US. Connue pour ses positions pro-crypto, elle s’est prononcée contre le renflouement des sociétés en voie de banqueroute. De son point de vue, il est préférable de « laisser ces choses se dérouler » pour créer une industrie plus durable.

Une commissaire de la SEC partisane du laisser-faire

Plus précisément, elle a déclaré dans un entretien à Forbes que c’était au contraire une opportunité pour évaluer le fonctionnement du marché crypto en situation de stress aigu.

Il est utile pour nous de voir les points de connexion. C’est un moment d’apprentissage non seulement pour les acteurs du marché, mais aussi pour les régulateurs, afin que nous puissions avoir une meilleure idée du fonctionnement du marché.

Heister Pierce, commissaire de la SEC, in Forbes

Pour autant, la SEC n’étant pas chargée par le Congrès d’être un régulateur du risque systémique, elle considère que l’instance n’a pas à intervenir pour sauver des entreprises surendettées qui n’ont pas appliqué les principes traditionnels de gestion des risques.

Crypto n’a pas de mécanisme de sauvetage. Et cela a été perçu comme l’une des forces de ce marché. Je ne veux pas entrer et dire que nous allons essayer de trouver un moyen de vous renflouer si nous n’avons pas le pouvoir de le faire.

Heister Pierce, commissaire de la SEC, in Forbes

L’éducation à l’écosystème crypto : un préalable indispensable

Elle n’hésite pas non plus à pointer du doigt la responsabilité des investisseurs individuels qui, aveuglés par des rendements mirobolants, ont perdu le sens de la mesure.

Lorsque vous avez un rendement attractif, vous devez vous poser des questions sur les risques associés ? Et si vous n’obtenez pas de réponses, alors vous devez vous demander si vous voulez faire cet investissement.

Heister Pierce, commissaire de la SEC, in Forbes

L’éducation à ce nouvel écosystème est bien évidemment le préalable à tout investissement. Un principe inlassablement répété par les acteurs de l’écosystème eux-mêmes, mais qui est loin d’être adopté par les nouveaux entrants.

Or, cette désinvolture ou paresse à l’apprentissage, qui entraîne des drames tels que nous les connaissons actuellement avec des gens qui perdent une partie ou tout de leur épargne, donne des billes aux régulateurs pour imposer l’idée de n’autoriser que des investisseurs accrédités à s’engager dans l’investissement crypto. Règle qui existe déjà dans la finance traditionnelle, notamment aux Etats-Unis suite au krach de 1929 et de la « Grande Dépression » qui s’en est suivie, et que d’aucuns aimeraient voir appliquer dans l’industrie crypto. Plusieurs juridictions ont fait des tentatives en ce sens. La Thaïlande et Hong Kong de façon avortée, Singapour avec plus de succès.

La régulation pourrait profiter de la situation chaotique actuelle de l’industrie crypto pour imposer des règles inéquitables

De fait, si l’industrie crypto connaît encore des épisodes à cette série noire qui la caractérise actuellement, les régulateurs et législateurs pourraient bien adopter des règles drastiques allant à l’encontre d’une crypto par nature populaire, c’est à dire faite pour le peuple et non réservée à une élite déjà nantie.

Autrement dit sous l’argument de protection des utilisateurs, les riches auraient la possibilité de s’enrichir encore davantage tandis que les plus modestes n’auraient plus accès à cette voie possible de l’autonomie financière. Aussi, pour échapper à cette logique de domination avec d’une part, les investisseurs qualifiés crédités de qualités aptes à leur faire prendre des paris éclairés, à éviter les escroqueries et qui peuvent se permettre de perdre de l’argent en cas de dysfonctionnement, et d’autre part, les investisseurs « ordinaires » qui ne savent pas « faire » avec leur argent, il faut prendre la voie de l’indépendance. A savoir, apprendre à gérer soi-même ses fameuses clés privées (c’est plus simple qu’il n’y paraît) et cesser d’accorder sa confiance à des structures centralisées qui se dédouanent de toute responsabilité quand les choses tournent au vinaigre.

L’histoire tourmentée des cryptos prend un nouveau tournant

Bon, pour finir sur une note plus optimiste, notons que dans la jeune histoire des cryptomonnaies (13 ans), ce n’est pas la première fois que l’écosystème connaît des épisodes de cette nature. Le plus retentissant sans doute, la faillite de l’exchange Mt Gox en 2014 qui a laissé sur la paille des milliers d’investisseurs.

L’histoire, dans une moindre mesure, s’est répétée à chaque cycle avec des dizaines d’échanges ou de plateformes disparaissant quasiment du jour au lendemain. Mais n’en déplaise à ceux qui annoncent l’énième mort de Bitcoin et consorts, l’industrie s’est toujours relevée de ces épisodes regrettables. Sauf qu’aujourd’hui, il va falloir faire avec des régulateurs plus ou moins éclairés, bien décidés à exercer un contrôle parfois abusif, à la hussarde européenne par exemple. L’histoire des cryptos prend un nouveau tournant mais n’est pas finie pour autant.

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