Paroles de banquier euro : les cryptos sont un schéma de Ponzi nourri de cupidité

26 avril 2022 - 16:58

Temps de lecture : 5 minutes

L’Europe confirme son virage répressif à l’encontre de l’écosystème crypto via une intervention musclée de Fabio Panetta, membre du conseil d’administration de la Banque centrale européenne, qui appelle à de nouvelles normes mondiales pour réglementer les actifs cryptographiques accusées de (presque) tous les maux.

Le Far West des cryptos

L’italien Fabio Panetta n’a jamais porté les cryptomonnaies dans son coeur. Et pour cause, il est à la tête de l’unité en charge, au sein de la Banque centrale européenne (BCE), de la conception et du lancement de l’euro numérique. De fait, dans un discours prononcé le 25 avril à New York à l’Université de Columbia, il n’a pas ménagé ses efforts pour dresser un tableau apocalyptique du secteur et de la nécessité de le soumettre à un contrôle accru. Dès le début de son intervention, le cadre est posé.

Il y a 170 ans, les Américains ont traversé la frontière vers l’ouest pour chercher fortune dans la ruée vers l’or. La cupidité et l’anarchie ont transformé cette terre promise en Far West où quelques-uns ont exploité le rêve du plus grand nombre.

La raison invoquée pour hausser le ton est que la taille du marché des crypto-actifs, qui effleure aujourd’hui les 2000 milliards de dollars après avoir atteint les 3000 milliards de dollars au plus haut de son cycle en 2021, « est désormais plus importante que ne l’était le marché des prêts hypothécaires à risque lorsque ce dernier a déclenché la crise financière mondiale (de 2008) avec une valeur de 1.300 milliards de dollars».

Une croissance à risque

Sa croissance représente un risque majeur pour la stabilité financière en cas d’effondrement du secteur. Aussi, selon lui, les régulateurs doivent réagir sans attendre pour endiguer ce phénomène qu’il assimile à un schéma de Ponzi.

Les évangélistes de la crypto promettent le paradis sur terre, en utilisant un récit illusoire de prix des crypto-actifs en constante augmentation pour maintenir les entrées et donc l’élan qui alimente la bulle crypto. (…) À l’heure actuelle, ils tirent leur valeur principalement de la cupidité. Ils comptent sur la cupidité des autres et l’espoir que le stratagème se poursuive sans entrave. Jusqu’à ce que ce château de cartes s’effondre, laissant les gens ensevelis sous leurs pertes.

Les ratés des cryptos

Aspirant « à réaliser une utopie anarchique d’une monnaie stable à l’abri du contrôle public », « le rêve de Satoshi Nakamoto de créer de l’argent digne de confiance n’en reste pas moins un rêve » affirme le banquier italien.

A l’appui de son assertion, plusieurs aspects à relever. D’abord, la volatilité du prix des cryptos. Ensuite, la traçabilité des transactions au lieu, dit-il, de l’anonymat promis (alors que le bitcoin s’est toujours déclaré pseudonyme…). Egalement, la concentration supposée de la richesse entre les mains de quelques-uns. Une situation dérangeante pour un gardien du système financier traditionnel qui, c’est notoire, favorise la bonne fortune de tous…

Mais on note également une remarque non dénuée de fondement quant à l’intermédiation proliférante d’un écosystème dont la philosophie originelle est la décentralisation. La DeFi (finance décentralisée) devenant souvent CeDeFi (alliance avec la finance centralisée) pour faciliter l’adoption grand public.

Récusant tout sous-jacent au bitcoin, qui repose pourtant sur l’énergie dépensée pour le créer à la différence d’un euro créé ex nihilo, il s’attaque aussi aux stablecoins. Ces cryptomonnaies adossées à des monnaies fiduciaires ne sont, de son point de vue, « stables que de nom ». On connaît la chanson entonnée très régulièrement par les régulateurs qui y voit aussi une menace contre leur projet de monnaie numérique d’Etat.

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Des crypto-actifs, pas des cryptomonnaies

Et « adossées ou pas », les cryptomonnaies ne remplissent de toutes façons pas, d’après lui, les trois fonctions de la monnaie. A savoir : moyen d’échange (assurer les paiements), réserve de valeur (stocker sa richesse sur le moyen ou le long terme) et unité de compte (mesure de valeur). Un mantra là aussi très commun chez les régulateurs des États de l’OCDE. Rien de bien surprenant dans les pays où les monnaies sont soutenues par des institutions solides ou réputées comme telles, et inspirent un taux de confiance presque absolu de la population.

Il n’en va pas de même dans des contrées aux infrastructures monétaires plus faibles. Face à un dollar zimbabwéen ou un bolivar qui connaissent une volatilité phénoménale, les cryptomonnaies peuvent apparaître comme un recours. Et on n’oubliera pas le Salvador. En adoptant le bitcoin comme monnaie ayant cours légal, le BTC remplit au moins deux des premières exigences d’une monnaie selon Aristote. On ne s’attardera pas plus sur le contexte inflationniste actuel, qui fait qu’un euro aujourd’hui vaut plus cher qu’un euro demain. Il est préférable, pour tout épargnant, de fuir cette monnaie fondante qui ne répond plus à la fonction de réserve de valeur.

Suite des griefs contre les cryptos

Non content de pointer les insuffisances opérationnelles supposées des cryptos, le banquier leur retire aussi toute dimension de nature sociale ou économique.

Oubliant bien opportunément qu’elles peuvent aider à l’inclusion financière des personnes non bancarisées, dont le nombre est estimé à 1,7 milliards d’individus à l’échelle planétaire, il s’emploie à les dénigrer, quitte à interpréter des chiffres pourtant mis en perspective par la source utilisée, sauf en notes confuses de bas de page. Ainsi, reprenant les évaluations de Chainalysis, il livre un chiffre brut de 24 milliards de dollars en 2021. Mais il oublie bien commodément de préciser qu’en proportion du volume général des transactions qui a fortement progressé, l’activité criminelle n’a jamais été aussi faible dans le secteur. Et cela reste vrai, même si le taux a été révisé à la hausse par l’identification rétroactive d’opérations suspectes.

Dans le même état d’esprit, il évoque, sans étayer concrètement ses accusations, l’utilisation des cryptos à des fins d’évasion fiscale ou comme moyen de détournement des sanctions.

Enfin, bien dans le débat actuel d’un bitcoin pollueur en chef de la planète, poussant l’Union européenne à vouloir limiter drastiquement le mécanisme de preuve de travail (PoW), il abonde dans le sens d’une menace sans égale. La mauvaise foi et les comparaisons insensées étant entendues comme des arguments imparables. Et ce, en dépit de nombre de démonstrations précises et scientifiques rationalisant le phénomène.

Une surveillance étouffante des cryptos

De fait, suite à cette litanie, on s’attendrait presque à entendre une invitation à bannir les cryptomonnaies. Mais face à leur popularité grandissante, à leur institutionnalisation et à l’impossibilité d’interdire un bitcoin intrinsèquement incensurable, le banquier plaide pour un effort coordonné à l’échelle mondiale de contrôle des cryptos. Il propose ainsi de les encadrer selon les normes de la finance traditionnelle. Autrement dit, il s’agit de suivre les recommandations du Groupe d’action financière (GAFI) en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Une orientation déjà choisie par l’Union européenne qui a opté pour une interpétation extrême des directives. Sans se préoccuper, faut-il le préciser, des conséquences qui risqueraient à terme de condamner l’écosystème crypto européen.

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Un « deux poids, deux mesures » visiblement pas dérangeant pour Fabio Panetta qui propose à son tour un traitement différencié en suggérant de taxer plus lourdement les crypto-actifs basés sur le PoW.

Il plaide également en faveur d’exigences supplémentaires de divulgation et de transparence obligatoires pour les entreprises crypto. Et tant qu’à faire, pour un renforcement des autorités publiques dans la détection des transactions illicites et des menaces émergentes.

Considérant que l’Europe est à la pointe de la réglementation avec son projet MiCA et la révision de la directive TFR (pour « Transfer of Funds Regulation ») dont il s’est très largement inspiré, il redoute néanmoins qu’elle s’avère inefficace si elle n’est « associée à des mesures ambitieuses mises en œuvre par nos pairs internationaux ».

Un plaidoyer en faveur d’un euro numérique

Reconnaissant que la croissance du secteur crypto a révélé le besoin d’une meilleure infrastructure financière, il appelle les banques centrales à hâter le train de l’innovation et des monnaies numériques d’Etat.

Les banques centrales doivent s’engager encore plus dans l’innovation numérique. Elles doivent moderniser les infrastructures financières de gros, et exploiter des systèmes de paiement de détail rapides. Et se préparer à l’émission de monnaies numériques de banque centrale.

Il en profite au passage pour valoriser son travail au sein de la banque centrale européenne qui prépare un euro numérique à l’horizon 2025. Enfin, ce serait le voeu, mais la tâche est complexe. Et il faut avant tout dégager le terrain. D’où ces tentatives multiples que l’on observe ces derniers mois pour tenter de marginaliser les cryptomonnaies en les décrédibilisant. Et de les fragiliser en cherchant à les contrôler plus que de raison pour limiter au maximum leur expansion. Rien que du très attendu en somme.

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