L’horizon de Binance assombri par une enquête de la SEC et des soupçons de blanchiment d’argent

07 juin 2022 - 12:58

Temps de lecture : 4 minutes

L’exchange crypto n°1 a connu des jours plus heureux. Le voilà aujourd’hui sous le feu de l’actualité en raison d’une enquête de la sourcilleuse Securities and Exchange Commission (SEC) américaine. Le motif : savoir si Binance Holdings n’a pas enfreint les règles sur les valeurs mobilières au lancement de son jeton BNB dans le cadre d’une offre initiale de pièces (ICO) il y a cinq ans. Intervenant peu après les révélations d’un document alléguant que la plateforme leader aurait blanchi au moins 2,35 milliards de dollars de fonds illicites entre 2017 et 2021, Binance, à l’image du marché crypto, traverse assurément une passe délicate.

Le BNB dans le viseur de la SEC

L’actualité dans l’industrie crypto peut très vite virer du rose au noir. Binance, qui connaissait jusque-là une séquence plutôt positive avec une montée en puissance de sa respectabilité en multipliant les homologations dans diverses juridictions, notamment européennes, bute sur le régulateur américain, la redoutable SEC qui l’avait déjà dans le collimateur.

Son patron, Gary Gensler, bien dans son rôle, est très sensible à la nature des jetons de l’industrie crypto. Leur traitement juridique dépendant de leur classification. Or, dans le cas du Binance Coin (BNB), la crypto native de Binance, la SEC s’interroge sur le fait qu’il pourrait s’assimiler à un titre (security) lors de sa vente en 2017. De fait, selon un article de Bloomberg, la SEC réexamine les origines du BNB. Le but, attester ou non d’une violation potentielle de la réglementation sur les valeurs mobilières. A savoir, s’il a été vendu à des investisseurs comme moyen de financer l’échange en contrepartie d’un retour sur investissement. Si tel est le cas, il s’agirait donc d’une offre de titre non enregistrée qui aurait dû l’être auprès de l’agence de réglementation.

Pour rappel, le BNB, créé en juillet 2017 sur la blockchain Ethereum, était un jeton ERC-20. Il est ensuite passé à un protocole Binance distinct. L’ICO de 100 millions de jetons à 15 cents l’unité a recueilli 15 millions de dollars. A partir de là, le BNB est devenu la pierre angulaire de la plateforme. Pouvant s’échanger directement, il a alors servi pour la négociation de cryptos tout en faisant bénéficier ses utilisateurs de taux réduit sur les frais de transaction.

Binance sous le coup de plusieurs enquêtes

Ce n’est pas la première fois, loin de là, que Binance se retrouve dans le viseur des instances de régulation américaines. Il fait actuellement l’objet d’une enquête groupée de la part du ministère de la Justice, de la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) et de l’Internal Revenue Service (le fisc américain). Des régulateurs qui examinent aussi Binance US, une société affiliée créée en 2019, afin de déterminer si elle est véritablement indépendante de sa maison-mère comme elle le revendique.

Binance longtemps réfractaire à toute forme de réglementation, a, depuis 2021, pris le pli de la conformité en débauchant notamment nombre de régulateurs pour les intégrer à son équipe dédiée. Aussi face à cette offensive, la plateforme fait montre de placidité.

Il serait inopportun pour nous de commenter nos conversations en cours avec les régulateurs, qui incluent l’éducation, l’assistance et les réponses volontaires aux demandes d’informations. Nous continuerons à répondre à toutes les exigences fixées par les régulateurs.

Binance in Bloomberg

Et de soupçon de blanchiment d’argent

Mais comme il est notoirement vérifié que les ennuis surviennent généralement en série, les investigations de la SEC ne sont pas le seul caillou dans la chaussure de Changpeng Zhao (CZ), le PDG de l’exchange. En effet, le 6 mai, l’agence Reuters  a publié les résultats d’une enquête indépendante selon laquelle 2,35 milliards de dollars de fonds illicites auraient été blanchis via la plateforme entre 2017 et 2021.

La démonstration est plutôt convaincante avec un Binance facilitateur de multiples transactions frauduleuses. L’enquête très détaillée s’appuie notamment sur trois événements : le piratage de l’échange slovaque Eterbase, le traitement des paiements de médicaments du site darknet Hydra dont un montant de 780 millions de dollars aurait transité par Binance. Enfin, le groupe de pirates Lazarus qui, selon le FBI, utiliserait ses gains frauduleux pour financer le programme d’armes nucléaires de la Corée du Nord, se serait également servi de Binance pour ses exactions.

La plateforme s’est défendue en arguant « d’un éditorial terriblement mal informé ». D’après elle, il reposerait sur « des informations obsolètes de 2019 et des attestations personnelles non vérifiées comme béquille pour établir un faux-récit ». Elle a également, par la voix de son directeur des communications Patrick Hillman, affirmé sa nouvelle orientation résolument vertueuse.

[Nous sommes en train de constituer] l’équipe de cybercriminalité la plus sophistiquée de la planète. (…) [Elle] améliorera encore notre capacité à détecter les activités cryptographiques illégales sur notre plateforme.

cité par Reuters

Par la suite, CZ a répondu lui-même en publiant 50 pages d’e-mails pour contrer des accusations qu’il juge trompeuses.

Quelles conséquences ?

Les mésaventures actuelles de Binance ne sont pas une surprise pour qui suit de près l’interventionnisme des régulateurs après un laisser-faire attentiste. Le BNB est notamment la cible toute trouvée, comme le XRP de Ripple dont le procès est toujours en cours, en étant une crypto à forte capitalisation (5ème rang du classement), émise par une entité identifiable et à l’organisation centralisée.

Quelles seront les conséquences de ce tir groupé contre Binance ? Nul ne peut en préjuger. Cependant, reprécisons que l’exchange n°1 prospère surtout en dehors des frontières états-uniennes. Le retentissement de l’affaire avec la SEC pourrait être de ce fait limité. Elle pourrait se poursuivre par un long procès, se soldant possiblement par une grosse amende.

Néanmoins, il ne s’agit pas de nier que l’écosystème crypto risque de vivre une période sombre dans les mois à venir. L’épisode catastrophique de l’effondrement de l’UST a fait sortir les couteaux des régulateurs qui déjà les affutaient dans la perspective « d’assainir » une industrie commençant à peser lourd. Le plus difficile assurément reste à venir.

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