Les exchanges Crypto.com et Gate.io sur la sellette

14 novembre 2022 - 07:30

Temps de lecture : 5 minutes

Dans un contexte de crise sans précédent, les agissements des plateformes d’échange crypto centralisées sont passées au crible. Plus rien n’échappe à la vigilance de la communauté qui alerte sur des comportements qu’elle juge douteux. Et à ce titre, la supposée dernière grosse boulette de Crypto.com qui aurait envoyé « accidentellement » 320 000 ETH à une adresse de portefeuille liée à l’exchange Gate.io a sonné l’alarme. Pour un certain nombre d’observateurs, elle pourrait témoigner de manoeuvres entre les échanges pour « gonfler » la détention effective de leurs avoirs juste avant leur divulgation publique.

Devoir de transparence pour les exchanges crypto

La débâcle de FTX est un coup monstrueux porté à la crédibilité de l’industrie crypto. Et il y a de quoi. En l’espace d’une semaine, un exchange majeur s’est effondré comme un château de cartes, avec chaque jour son lot de révélations nauséabondes et de rebondissements nauséeux. Les dégâts sont immenses. Et d’abord pour des centaines de milliers d’investisseurs sacrifiés sur l’autel de la cupidité la plus inimaginable qui soit.

La confiance est rompue avec les acteurs centralisés de l’écosystème. Sentant à raison le vent du boulet, chacun d’entre eux tente de se soumettre à un exercice de transparence pour assurer aux utilisateurs que les fonds détenus sur leurs plateformes reposent bien sur des actifs tangibles. Initié par Binance, la locomotive du secteur qui a levé d’un tweet le plus gros scandale de l’histoire des cryptos, le Proof of Reserve est devenu la solution pour restaurer une confiance ébranlée comme jamais, où chacun, y compris les médias crypto dont le modèle économique repose en partie sur des liens d’affiliation, doit interroger sa responsabilité.

Mais entendons-nous bien, si Changpeng Zhao (dit CZ), le patron de Binance, est devenu la voix de la sagesse à l’aune de cette séquence dramatique, dont toutes les conséquences sont loin d’être encore visibles, et se présente aujourd’hui comme le chantre de la transparence, il n’a pas toujours été ce parangon de vertu qu’il prétend être. Et d’autres exchanges, à l’instar de Kraken (l’un des plus anciens comme par hasard) ne l’ont pas attendu pour mettre en oeuvre cette fameuse Proof of Reserve qu’il préconise aujourd’hui.

Démêler le faux du vrai

On peut être d’autant être plus prudent quant aux déclaration d’intention que, pour le moment, l’exchange leader du marché s’est contenté de publier des adresses de portefeuille. Les réserves y sont effectivement conséquentes, à hauteur de 71 milliards de dollars. Mais elles ne permettent pas aux usagers de la plateforme de vérifier par eux-mêmes si leurs fonds sont véritablement détenus par Binance. On attend donc le rapport complet, promis à l’aide du fameux procédé technologique appelé arbre de Merkel qui assure la vérification sécurisée et efficace des données.

Mais agissant dans l’urgence, nombre d’autres plateformes ont publié également des déclarations pour montrer qu’elles détiennent en réserve l’intégralité des dépôts des clients. Ainsi Huobi, Bitfinex, OKX, Kucoin et Bybit… Sauf que la précipitation est rarement bonne conseillère. A trop se hâter, l’effet escompté peut être contraire à l’intention initiale de transparence, renforçant encore davantage l’ère du soupçon.

Crypto.com envoie par erreur 400 millions de dollars à Gate.io

Ainsi en est-il de la plateforme Crypto.com. Celle-ci s’était déjà notamment distinguée par le passé en adressant dix millions de dollars à une cliente résidant en Australie qui avait tout bonnement fait une demande de retrait de 100 dollars. Une erreur passée inaperçue, relevée incidemment sept mois après, lors d’un audit.

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Enorme boulette qu’elle semble avoir reproduit, dans un contexte beaucoup plus tendu. En effet, elle a envoyé le 21 octobre dernier, 400 millions de dollars d’Ether (320 000 ETH), soit 80% de son portefeuille ETH, à une mauvaise adresse. En l’occurrence, à celle appartenant à un rival, Gate.io, peu avant que celui-ci ne fournisse publiquement une déclaration de ses réserves le 28 octobre. Selon le PDG de Crypto.com Kris Marszalek, il s’est agi une nouvelle fois d’une malheureuse erreur de manipulation. A savoir, une inattention lors d’un mouvement vers une nouvelle adresse de stockage, car la société dispose d’un compte d’entreprise chez Gate.io. Et cette adresse faisait effectivement partie d’une liste blanche de portefeuille appartenant à la plateforme. L’incident a néanmoins vite trouvé sa résolution, Gate.io renvoyant le montant (équivalant alors à 285 000 ETH) entre le 25 et le 30 octobre.

C’était censé être un déménagement vers une nouvelle adresse de stockage à froid, mais cela a été envoyé à une adresse d’échange externe sur liste blanche. Nous avons travaillé avec [l’équipe] de Gate et les fonds ont ensuite été renvoyés dans notre entrepôt frigorifique. De nouveaux processus et fonctionnalités ont été mis en œuvre pour éviter que cela ne se reproduise.

Manoeuvres de plateformes entre elles pour améliorer leurs réserves d’actifs ?

Gate.io a soutenu le récit. Mais outre la justification quelque peu improbable d’une nouvelle maladresse, qui si elle était avérée questionne sur le profil des employés de Crypto.com, la coïncidence des dates entre cette manne providentielle et la  publication de la preuve de réserves de Gate.io a alimenté nombre de spéculations. Les réserves de l’un auraient été sciemment gonflées par les réserves de l’autre.

La rumeur enflant, Marszalek s’est fendu d’un nouveau fil twitter. Il a partagé un instantané de Gate montrant ses réserves du 19 octobre sans les fonds Crypto.com. Son partenaire de jeu a également publié sur son blog samedi soir une « clarification » sur son « assistance à Crypto.com ». A l’appui de leurs affirmations, il est à noter que l’attestation  d’Armanino, cabinet comptable que FTX déclarait avoir utilisé pour auditer ses livres selon un article du Financial Times, indique que Gate.io dispose de suffisamment de réserves ETH pour surgarantir les fonds des utilisateurs de 104 %. Surtout, les données pour l’audit de preuve de réserves indiquent bien le 19 octobre, c’est-à-dire avant le transfert des 320 000 ETH. Crypto.com et Gate.io n’auraient donc pas fomenté le stratagème suspecté.

Crypto.com ne rassure pas

Néanmoins, le doute persiste, attisé notamment par CZ. Celui-ci s’est précipité pour mettre en garde les utilisateurs contre les échanges qui effectuent des transferts d’actifs importants avant ou après la publication de preuves de fonds.

Preuves de fonds que Crypto.com a publié le 12 novembre, et qui ont plongé nombre d’observateurs dans la perplexité en voyant que près de 20% des avoirs de la bourse était le jeton Shiba Inu (SHIB), une “monnaie mème” hautement spéculative.

CoinDesk - Inconnu
source: Coindesk

Crypto.com a beau justifier que toutes les réserves de Crypto.com sont entièrement fidèles aux soldes des utilisateurs, et que cela signifie simplement que ces derniers possèdent beaucoup de Shiba Inu, on reste interloqué. Ajouté à un amateurisme répété, on peut légitimement s’inquiéter du dilettantisme d’une plateforme qui gère plusieurs milliards de dollars.

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