Interview du député Pierre Person après ses 27 propositions de loi sur les cryptomonnaies

04 mars 2019 - 15:10

Temps de lecture : 11 minutes

Les incertitudes liées à la législation des cryptomonnaies sont nombreuses en France. En réponse à cette problématique, Pierre Person a réalisé un rapport d’information relatif aux « monnaies virtuelles » contenant 27 propositions. J’ai pu rencontrer le député à l’Hôtel de la Questure de l’Assemblée Nationale pour échanger à propos de son travail, mais également en savoir plus sur son parcours, et sa relation aux cryptoactifs.

Afin de mieux appréhender cet article, il est préconisé de connaître la régulation des cryptoactifs en France ainsi que les 27 propositions du député. Il est par conséquent recommandé de consulter le dossier qui sera publié cette semaine sur CryptoActu et qui fera un point complet sur la législation actuelle des cryptoactifs ainsi que sur les propositions de M. PersonAfin de ne pas rater cette occasion, tu peux t’inscrire ci-dessous et être sûr de le recevoir par mail :

I – Quel contexte législatif en France sur les cryptomonnaies ?

Comme précisé plus haut, un dossier reviendra très prochainement plus en profondeur sur le sujet. Néanmoins, voici quelques informations préliminaires.

La France a entrepris, depuis maintenant plus d’un an, des actions en vue de légiférer sur le domaine des cryptoactifs et ce qui l’entoure. Depuis la flambée des prix fin 2017, c’est une question qui revient fréquemment dans les débats politiques, avec notamment des avancées en 2018. Cependant, la communauté blockchain et crypto reste dans l’incertitude sur de nombreux points. La complexité du secteur rend sa régulation difficile. En cause, la diversité des acteurs, des projets, des exchanges, mais aussi des formes de financements (ICO, STO).

La République Française veut légiférer sur les cryptomonnaies La République Française veut légiférer sur les cryptomonnaies

Malgré tout, un travail titanesque a été accompli par la patrie des Droits de l’Homme avec en tête de fil Pierre Person qui a été l’un des députés les plus impliqués sur ces problématiques.

On peut distinguer sa participation dans deux missions. Une première, où avec de nombreux autres hommes et femmes politiques, il a rendu en Décembre 2018 un rapport d’information spécialisé sur les chaînes de blocs et la blockchain (et non les cryptomonnaies).

Et une seconde, qu’il a animée pendant près d’un an, à défaut des six mois initialement prévus, afin d’appréhender les tenants et aboutissants des cryptoactifsIl a interrogé plus de 200 acteurs français faisant parti de l’écosystème et rendu un rapport le 2 Février dernier contenant 27 propositions. Ces 148 pages sont le résultat de recherches poussées sur les cryptomonnaies. Le dossier d’information est présidé par Eric Woerth, ancien ministre du Budget, actuel député et président de la commission des Finances de l’Assemblée Nationale et s’intitule :

« Les monnaies virtuelles : vers un nouveau paradigme sociétal, économique et monétaire ? »

 

II – Une brève présentation du député

M. Person est un homme politique français de 30 ans qui co-fonde en 2015 les Jeunes avec Macron, il est donc rattaché à la République en Marche. Aujourd’hui, il occupe un poste de député dans la sixième circonscription de Paris ainsi qu’une fonction de délégué général adjoint du parti LREM.

À l’Assemblée Nationale, il est membre de la commission des finances et demeure très engagé dans le développement et la régulation des cryptomonnaies. Il soutient notamment le fait que la France se doit d’être une «  crypto-nation ». En effet, il a souvent évoqué dans les médias l’importance de ne pas « rater le virage de cette nouvelle technologie comme ce fut le cas avec Internet ». Qui plus est, Pierre Person demeure très apprécié par l’ensemble de la communauté française crypto et blockchain car il met en lumière les problématiques de ce milieu au grand jour. Le député n’hésite pas à interroger les acteurs éminents du secteur afin de comprendre comment l’Hexagone peut tirer parti de cette révolution technologique.

Pierre Person - 24 Janvier 2019 Pierre Person – 24 Janvier 2019

III – L’interview, la vision ambitieuse du député

Cette interview s’articule donc autour de ces propositions, mais pas seulement. En effet, il m’a également semblé important de découvrir la vision de l’homme politique sur ce qui se fait dans les autres pays, ainsi que de connaître son approche personnelle des cryptoactifs.

Avant toute chose, il a été frappant de constater à quel point M. Person est accessible, ouvert à la discussion, mais surtout impliqué dans sa mission. Voici la retranscription de notre entretien :

CryptoActu : Bonjour Monsieur le Député, pouvez-vous vous présenter ?

P. Person : Je suis Pierre Person, député de la sixième circonscription de Paris. J’ai 30 ans et je suis intéressé par les cryptoactifs depuis maintenant un peu moins de 10 ans. La période 2012 – 2014, c’est là que j’ai fait ma première rencontre avec les cryptoactifs.

CryptoActu : Quel est votre avis sur l’évolution de l’écosystème des cryptomonnaies, de 2016 à aujourd’hui ?

P. Person : En 2016 et 2017, on a eu une montée en puissance de toute la phase de financiarisation. La valorisation a explosé et touché son paroxysme fin 2017 avec un Bitcoin à 20 000$ qui en a été le symbole. On a aujourd’hui des cours qui sont en train de finir leurs phases de correction, ce qui est d’ailleurs plutôt sain. Je fais souvent un parallèle entre cette phase-là et la bulle internet. Notamment dans la mesure où il n’y avait pas de corrélation entre les usages et la réalité économique que cela représentait.

Au final 800 Milliards ce n’est pas si énorme [valorisation maximale atteinte par le marché fin 2017], c’est l’équivalent de la valorisation d’une grosse entreprise américaine, comme certains GAFA. Derrière tout ça, il y avait une technologie qui était très peu mature. C’est donc le potentiel de cette dernière qui crée la valeur et non pas l’usage et le bénéfice que l’on pouvait immédiatement en tirer. Il y a par conséquent eu cette phase de correction. La phase de surfinanciarisation a quand même permis de financer la recherche et le développement. C’est positif, je vois les choses de manière plutôt optimiste. Les cours ont aujourd’hui beaucoup diminué, mais restent à des niveaux plus raisonnables. En ce qui concerne l’écosystème, il y a une continuité d’investissement dans la recherche et le développement. De nouveaux protocoles sortent régulièrement, de nouvelles technologies sont peaufinées, cela ne ralentit pas son développement.

On aura donc très certainement un écosystème futur qui ne ressemblera pas à celui de 2016, ou à celui de 2017 où les ICO ont été reines. En 2019 et 2020, le marché sera probablement tourné sur les Securities, avec par exemple les STO, plutôt que les ICO. En fait, l’Utility Token, n’est à mon sens pas l’avenir du développement de la blockchain. Cela ne sera pas son usage premier.

CryptoActu : Par rapport aux 27 propositions réalisées, pensez-vous que le résultat est satisfaisant pour le développement des cryptoactifs en France ? Vous avez notamment souvent évoqué que c’est une belle avancée, mais est-ce suffisant ?

P. Person : Sans vouloir faire de la gloriole ou de l’auto-satisfaction, on a, pour le coup, un régime juridique, fiscal et comptable exhaustif contrairement à ce que l’on peut voir à travers le monde. Tous les pans ne sont pas abordés par tous les États. Nous, on a un mécanisme assez complet. Il est aussi intelligent, dans la mesure où il fait la part belle à la contractualisation avec la personne publique. Avec la labellisation, c’est l’optionalité, on n’est pas sur du « tout obligatoire ». Cela permet de valoriser les projets plutôt que de les sanctionner. C’est le point de vue positif de la chose.

Ensuite j’ai fait 27 propositions, il y en a 4 qui sont aujourd’hui dans le programme de droit applicable ou le seront prochainement dans la mesure où la loi PACTE sera promulguée à la fin du premier semestre. L’enjeu c’est de continuer à les porter car elles seront toujours dignes d’intérêt dans les prochains mois. C’est aussi un des combats que je souhaite pousser pour aller encore plus loin. Il faudra de la même manière analyser d’autres propositions qui ne sont pas dans ce rapport-là, mais qui découleront de l’évolution de l’écosystème dans les prochains mois et années. La technologie d’aujourd’hui n’est probablement pas celle de demain, elle va continuer de se transformer et de se développer. Tout comme les protocoles d’hier ne sont pas ceux qui prédominent aujourd’hui. Cela fera l’objet d’une proposition de loi, mi-2019, fin 2019 ou début 2020.

Je tiens également à préciser que le travail derrière ce rapport n’est pas que le mien. Tout d’abord c’est celui de mon équipe, qui a beaucoup bossé. Mais c’est aussi celui de tous ceux qui se sont mis autour de la table et qui ont proposé. En fait, au mois de Juin, j’avais une option, rendre mon rapport avec la synthèse des auditions. Mais je n’avais pas envie que cela soit l’un des énièmes rapports qui faisaient une description des problématiques. Je voulais des solutions à apporter. Il a fallu demander aux acteurs de proposer, car peu avaient de solutions, donc il a fallu se mettre autour de la table. Si on a pu présenter 27 propositions, en plus de ce qu’il y a dans la loi PACTE, c’est aussi parce que tout le monde, les fiscalistes, les amateurs d’ICO, les plateformes de trading en cryptoactifs ont contribué à proposer des solutions. Le politique n’est là que pour arbitrer et faire la balance. C’est le rôle du politique de prendre à bras le corps ces propositions et de trancher. Mais ce n’est pas à lui de faire ça, seul dans son coin.

CryptoActu : Il était très intéressant d’observer la fin de votre rapport qui s’oriente plus sur l’éducation, la création d’une association nationale, ou la défense du consommateur. Je trouve, personnellement, cela essentiel, car ce sont des sujets moins souvent évoqués dans l’univers des cryptoactifs. Par exemple, 42% des 50 meilleures universités dans le monde proposent des cours sur la blockchain ou les cryptomonnaies, qu’en pensez-vous ?

P. Person : Cela ne m’étonne pas. Les principales écoles de commerces et d’ingénierie [en France] commencent aussi à développer des formations, doucement, mais il y en a. Notamment à Paris dans ma circonscription, dans le 11ème. Je suis plutôt positif là-dessus.

CryptoActu : Est-ce qu’il y a un autre pays dans le monde qui serait un bon exemple, au niveau législatif, notamment ? Il y a de nombreuses approches un peu partout sur la planète qui s’orientent dans des directions parfois opposées. On peut citer les interdictions en Chine, ou les États-Unis avec la Bitlicense et la SEC.

P. Person : Je vais vous répondre de manière immodeste. On a essayé de prendre des bouts de réglementations qui nous paraissaient bons. On a essayé de s’en inspirer. Il n’y a pas beaucoup d’autres États qui ont un dispositif complet.

Les USA ont une législation sur les STO que nous n’avons pas commencé à aborder, ce qui est par exemple un bon point. D’un autre côté, ils ont une approche monolithique. Que vous soyez un petit ou un gros acteur, que vous soyez une société basée au NASDAQ ou une petite startup, vous êtes contraints par les mêmes règles dans l’état fédéral de New York. Ce n’est pas notre modèle de pensée. On a voulu dissocier les acteurs, les petits, les gros, en fonction des services qu’ils faisaient, on est rentré dans une logique plus fine.

La Russie a certaines dispositions qui sont intéressantes, mais tout n’est pas complet. La labellisation, je ne crois pas avoir vu d’autres États dans le monde proposer cette logique. C’est pour ça qu’elle doit tendre à un niveau européen avec l’ESMA notamment, qui était représentée tout à l’heure. Seul, le superviseur national ne peut pas tout.

Au niveau de l’Union Européenne, il y a deux visions. Une vision plutôt anglo-saxonne des choses et une vision française. L’objectif c’est de gagner cette bataille législative, et faire en sorte que chacun des pays uniformise ses droits, un enjeu de souveraineté. On n’a pas réussi, au niveau de l’Union Européenne (et pas seulement en rapport avec la blockchain) à créer les grands géants et on a organisé la concurrence entre les États membres. Dans un monde qui se globalise, on doit être en capacité de rivaliser avec les géants chinois et américains. Aujourd’hui, on n’a pas d’ETI à l’échelle européenne. On crée souvent des champions nationaux que l’on n’arrive pas à marier entre eux. Typiquement, la fusion qui a échoué entre Alstom et Siemens et a été infirmée par la Commission ces dernières semaines, a été, à mon sens une erreur stratégique. Non pas parce qu’ils appliquent le droit de l’Union mais parce que celui-ci est mal fait. Aujourd’hui on était en capacité de faire émerger un concurrent à Bombardier et on a échoué car on concentre un secteur qui aurait créé un géant européen capable de se confronter au marché chinois ou nord-américain. Tout cela, c’est à revoir. La problématique de la blockchain, en tant que nouveau secteur, met en lumière des difficultés aujourd’hui de l’Union à s’organiser comme étant un espace qui doit affirmer sa souveraineté. 

[click_to_tweet tweet= »« La problématique de la blockchain, en tant que nouveau secteur, met en lumière des difficultés aujourd’hui de l’Union Européenne à s’organiser comme étant un espace qui doit affirmer sa souveraineté. » Pierre Person, député » quote= »« La problématique de la blockchain, en tant que nouveau secteur, met en lumière des difficultés aujourd’hui de l’Union Européenne à s’organiser comme étant un espace qui doit affirmer sa souveraineté. » Pierre Person, député » theme= »style3″]

CryptoActu : Pour finir, une question plus personnelle. Comment êtes-vous tombés dans le milieu des cryptoactifs et de la blockchain ? Avez-vous fait du développement ?

P. Person : Alors, absolument pas. J’ai toujours été fasciné par les nouvelles technologies et la promesse philosophique et politique de la blockchain m’a attiré. Pas vraiment pour le côté libertarien, mais pour cette alliance des deux. Avoir la possibilité de redonner à l’être humain du pouvoir individuel dans le fait qu’il détienne directement sa monnaie. Le fait aussi de donner accès à certains individus qui sont contraints par des états non démocratiques et l’opportunité de s’en échapper avec des moyens financiers qui contournent les problématiques locales. C’est donc quelque chose qui m’importait et j’ai rapidement essayé de m’intéresser à la question du Bitcoin et de l’Ethereum.

C’est comme ça que je suis rentré dans le sujet. J’avais des amis à l’époque qui étaient assez impliqués. Notamment un bon ami sur Internet qui travaillait sur la question du Bitshare. La V2 était sortie en 2015 et on échangeait beaucoup. Après c’était très aride et je n’étais pas un développeur. Pour acquérir les premiers Ethers, ce n’était pas si facile.

[click_to_tweet tweet= »« La promesse philosophique et politique de la blockchain m’a toujours attiré. Pouvoir redonner à l’être humain du pouvoir individuel dans le fait qu’il détienne directement sa monnaie. » Pierre Person, député » quote= »« La promesse philosophique et politique de la blockchain m’a toujours attiré. Pouvoir redonner à l’être humain du pouvoir individuel dans le fait qu’il détienne directement sa monnaie. » Pierre Person, député » theme= »style3″]

IV – Quelles conclusions en tirer ?

Que retenir de cet entretien, et plus généralement de l’avancée de la législation en France ? J’ai sélectionné quatre points évoqués dans l’interview qui me semblent cruciaux, notamment en ce qui concerne le futur du secteur en France.

A – Développer l’écosystème crypto en France est une priorité selon le député. Il faut agir vite. Avoir raté l’essor d’Internet il y a 20 ans et ne pas avoir su créer ses propres GAFA (Amazon, Facebook, Google etc…) sont des échecs dont il faut s’inspirer. Il est nécessaire cette fois d’être l’un des acteurs proactifs de cette révolution technologique. Comme nous le verrons dans le prochain dossier sur la législation, le député veut par exemple attirer les fermes de minage en France.

B – Selon M. Person, la France est en train de créer un « cadre législatif complet », ce qui ne semble pas être le cas des autres pays. Il y a une réflexion sur des manières d’encadrer encore jamais vues. On peut citer la labellisation qui sera détaillée dans le prochain dossier sur le sujetLa patrie des droits de l’Homme avancerait donc dans la bonne direction même si le travail restant est colossal et doit surtout s’adapter aux évolutions technologiques de demain.

C – Selon l’homme politique, les Securities Tokens, aussi appelés STO sont l’avenir du développement des cryptoactifs (au contraire des Utilities Tokens). « Un Security token est un pur actif financier qui désigne un investissement dans une entreprise, et ce, dans l’attente d’un profit (cf. le Howey Test). Au sein de l’hexagone, l’AMF a réalisé un très pertinent travail de fond afin de bien encadrer ce token si spécifique (la SEC américaine veille également au grain…). » selon Forbes. D’une autre manière, un Utility Token, qui correspond à un jeton pouvant être utilisé pour un service, ne serait donc pas le futur de l’écosystème.

D – L’Union Européenne pourrait avoir un grand rôle à jouer dans la législation des cryptoactifs. L’ESMA (Autorité Européenne des marchés financiers) sera un acteur crucial dans cet objectif de régulation. Le 9 Janvier dernier, elle a publié un rapport sur le cadre réglementaire s’appliquant aux crypto-actifs comme le Bitcoin. L’organisation admet le manque d’un cadre adapté au niveau européen, mais une nécessité de résoudre ces lacunes au niveau de l’UE, notamment en ce qui concerne des lois anti-blanchiment ainsi que les ICO.

Le député est très optimiste et souhaite, comme cela a été démontré plus haut, faire de la France une « crypto-nation », mais cette vision n’est pas partagée par tous les politiques. En témoigne par exemple l’avant-propos du président Eric Woerth qui se place souvent en désaccord avec le jeune député.

« La France n’a pas à être une crypto-nation, selon un terme employé à plusieurs reprises dans le rapport. La France est une grande nation, qui décide librement et en toute transparence des régulations qu’elle établit, y compris par rapport aux innovations qui ne sont pas bonnes ou mauvaises par essence. Soulignons à ce titre que, étymologiquement, le terme crypto, du grec « kruptos », signifie « caché ». Or, dans ce domaine des crypto-actifs, beaucoup de choses demeurent encore cachées, non transparentes et opaques » Eric Woerth.

 

Recevez le top 3 de l'actualité crypto chaque dimanche