Grayscale, société soeur de Genesis, en fâcheuse posture ?

21 novembre 2022 - 07:28

Temps de lecture : 5 minutes

Grayscale, le pionnier de l’investissement institutionnel dans le bitcoin, qui était déjà en petite forme depuis le début de l’année, connaît une fin 2022 difficile. Il subit, comme tant d’autres, les retombées de l’effondrement de FTX via les difficultés de sa société soeur, Genesis Global Capital, qui agit en tant que fournisseur de liquidités pour son Grayscale Bitcoin Trust (GBTC). Une proximité inquiétant légitimement les investisseurs, que le gestionnaire d’actifs a tenté de rassurer en publiant des informations, sur la sécurité et le stockage de ses avoirs crypto, mais trop partielles pour lever le doute sur sa solidité.

Décote historique pour le Grayscale Bitcoin Trust (GBTC)

Le produit phare de Grayscale côtoie les abysses. Son GBTC se négocie désormais avec une décote historique de plus de 45% par rapport à la valeur marchande de bitcoin,  selon les données de YCharts.

Pour rappel, si le GBTC suit la valeur du BTC sur l’indice CoinDesk Bitcoin Price (XBX), il ne le suit pas d’aussi près que les fonds traditionnels cotés en bourse (de type ETP ou FNB) et présente même souvent un écart significatif. Si pendant longtemps, il s’est négocié avec une prime largement positive, depuis début 2021, sa tendance s’est inversée.

Actuellement, les actions GBTC se négocient à 8,33$ alors qu’elles culminaient à 56,7$ au sommet de leur forme en février 2021.

Si le marché baissier y est évidemment pour beaucoup, affaiblissant la demande institutionnelle pour les produits bitcoin, les derniers événements sont venus s’ajouter à la pression baissière.

Genesis au coeur de la tourmente pourrait emporter Grayscale

En effet, la société mère de Grayscale, Digital Currency Group (DCG), détient également dans son giron un pivot de l’investissement institutionnel dans le bitcoin et les cryptos, Genesis, dont la branche Global Capital, déjà fragilisée par le défaut de Three Arrows Capital (3AC), a été largement affectée par la chute de FTX. Son exposition à l’exchange, d’abord annoncée à 7 millions de dollars, a bondi ensuite à 175 millions de dollars… Un coup de tonnerre qui a fait affluer les clients soucieux de retirer leurs avoirs et qui l’ont contrainte à interrompre les retraits.

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Répartition approximative des avoirs de DCG sur la base de certaines hypothèses issues de ses investissements antérieurs. Source : Adam Cochran

DCG, qui avait déjà renfloué Genesis à hauteur de 1,2 milliard de dollars au moment de la déroute de 3AC, a injecté 150 millions de dollars dans sa filiale la semaine dernière. Insuffisant apparemment, puisque Genesis chercherait, avant lundi 10 heures, une facilité de crédit de 1 milliard de dollars selon le Wall Street Journal.

Spectre d’une liquidation de GBTC

Dans ce contexte tendu, ces révélations ont mis le feu aux poudres, laissant craindre des problèmes de solvabilité pour DCG et et des répercussions sur la fiducie Bitcoin. Or, Grayscale détiendrait, selon les dernières données disponibles, 635 236 BTC. Un volume qui, déversé sur le marché, pourrait impacter sévèrement le champ de mines crypto déjà sérieusement ébranlé par son deuxième cataclysme de l’année, après l’épisode Terra Luna au printemps dernier.

Cependant, envisager une dissolution du GBTC est sans doute bien prématuré, même si cette option est toujours possible, voir la fiducie XRP balayée vite fait des registres de l’entreprise. Néanmoins, en admettant même que DCG soit au bord de la faillite, le géant exploiterait certainement au préalable d’autres pistes. Mais dans un secteur fraîchement traumatisé par la chute spectaculaire de l’un des plus gros acteurs du marché en quelques jours, le pire s’invite dans toutes les têtes.

Quelles autres solutions pour DCG ?

De fait, avant d’en arriver là, DCG, qui est aussi le principal détenteur de GBTC, pourrait d’abord envisager de vendre une partie de ses avoirs, qu’il a achetés à la pelle ces derniers mois pour atténuer l’impact de la pression vendeuse institutionnelle et soutenir la valeur liquidative du fonds. Gros bémol à cette possible issue : il en accentuerait sans doute encore la décote.

Autre possibilité, en dernier ressort, recourir à la vente de la fiducie auprès d’un gestionnaire comme Fidelity ou d’un autre gros joueur. Car, si lever 1 milliard de dollars dans un climat aussi délétère semble improbable, en revanche, vendre le trust BTC devrait être plus aisé, sachant que le gestionnaire du fonds perçoit 2% par année en frais de gestion. A l’heure actuelle, cela représente approximativement 200 millions de dollars par an (635 000 BTC x 16 000 $ = 10,2 milliards de dollars).

Grayscale tente de rassurer les investisseurs

Face à une telle situation, Grayscale a bien évidemment dans un premier temps, cherché à rassurer en insistant sur le fait que tout allait bien dans son entreprise, précisant que ses actifs étaient sûrs, sécurisés et non affectés par les événements récents, y compris par la décision de Genesis d’arrêter les retraits.

Mais la brûlure du tweet, effacé depuis, de l’escroc SBF deux jours avant le désastre : »FTX va bien. Les actifs vont bien » reste vive. Pas question de se contenter d’affirmations non vérifiables. Donc, Grayscale, comme tous les autres acteurs de l’industrie, s’est obligé à un exercice de transparence. Bancal l’exercice, comme souvent.

Mais se livre à un exercice bancal de transparence

Dans un fil Twitter en date du 18 novembre,  Grayscale s’est fendu d’informations concernant la sécurité et le stockage de ses avoirs crypto. On y apprend que tous les sous-jacents de ses produits d’investissement sont conservés via le service de garde de Coinbase, et c’est à peu près tout. Un peu léger au regard de la méfiance qui s’est opportunément généralisée. Mais Grayscale soutient qu’il ne peut pas en dévoiler plus pour des raisons de sécurité.

Coinbase effectue fréquemment une validation en chaîne. Pour des raisons de sécurité, nous ne mettons pas ces informations de portefeuille en chaîne et ces informations de confirmation à la disposition du public par le biais d’une preuve de réserve cryptographique ou d’une autre procédure de comptabilité cryptographique avancée.

Grayscale sur Twitter

Un argument rapidement contesté à l’heure où la Proof of Reserves, outil imparfait mais désormais incontournable, est brandie comme instrument de transparence dont toutes les sociétés crypto doivent s’emparer. Mais Grayscale s’entête à ne pas vouloir dévoiler les adresses de ses portefeuilles.

[Ce]  sera une déception pour certains, mais la panique suscitée par d’autres n’est pas une raison suffisante pour contourner les dispositifs de sécurité complexes qui ont protégé les actifs de nos investisseurs pendant des années.

Grayscale sur Twitter

Pas de Proof of Reserves pour les entreprises publiques selon Grayscale

A sa décharge, il ne faut pas oublier que Grayscale est une entreprise publique, donc régulièrement et sérieusement auditée. Pas sûr que cela suffise, mais ça fait quand même une différence avec la plateforme FTX qui aura a priori bénéficié de pseudo-audits de complaisance. Le fonds rappelle d’ailleurs que chacun de ses produits est constitué en tant qu’entité juridique distincte et que « les lois, réglementations et documents […] interdisent aux actifs numériques sous-jacents aux produits d’être prêtés, empruntés ou autrement grevés ».

A l’appui de sa démonstration, il partage une lettre cosignée par le directeur financier de Coinbase (seul exchange crypto également public), Alesia Haas, et le PDG de Coinbase Custody, Aaron Schnarch. Un document qui va bien sûr dans le sens de Grayscale et qui serait à prendre pour argent comptant dans la mesure où, comme il est précisé plus en détail sur le site du gestionnaire d’actifs, Coinbase Custody est réglementé par le Département des services financiers de l’État de New York depuis 2018, le même régulateur qui supervise certaines des plus grandes banques des États-Unis. Maladroit. Ces arguments d’autorité ne fonctionnent plus face à la peur qui s’est emparée d’une communauté meurtrie par les promesses et les mensonges incessants de ses acteurs centralisés. De fait, les spéculations vont bon train et presque unanimement dans le sens d’un nouveau désastre à venir.

Ce qui est sûr, c’est que cette nouvelle semaine qui s’avance sera encore suspendue à un fil de rasoir. Si Genesis n’obtient pas son prêt de 1 milliard de dollars, ce qui semble effectivement se profiler, la liste d’institutions du secteur précipitées dans l’abîme risque encore de s’étoffer, et Grayscale pourrait en faire partie. Le cauchemar continue…

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