Le fiasco de FTX est « un cadeau pour les détracteurs de Bitcoin »

11 novembre 2022 - 11:58

Temps de lecture : 5 minutes

Dans un long fil twitter, le cofondateur de Kraken, Jesse Powell, a laissé s’exprimer une rage froide face à la séquence cataclysmique FTX/Alameda. Sans jamais les citer, pas plus que le nom de l’idole déchue, Sam Bankman-Fried, l’une des figures historiques de l’écosystème évoque « un revers massif » pour l’industrie crypto dont elle peinera à se remettre, mais elle s’en remettra assure t-il, notamment en affrontant les coups de boutoir décuplés des régulateurs.

L’ex-PDG de Kraken allume SBF et ses complices

Jesse Powell n’est pas un perdreau de l’année. Il est le cofondateur de la plateforme d’échange Kraken, créée en 2011 et mise en ligne en 2013, en réaction à la gestion désastreuse de l’exchange phare de l’époque (forcément, il n’y en avait pas vraiment d’autres), Mt Gox. Celui-ci, déclaré en faillite en 2014, revient à la une presque 10 ans après parce qu’il va « honorer » , au moins partiellement, ses créances auprès des utilisateurs.

Mais pour en revenir à ce qui nous préoccupe, il faut savoir que le vétéran Powell a d’emblée eu une conception plutôt carrée de ce que devait être un lieu d’échange Bitcoin (les altcoins viendront plus tard). Ses maître-mots : la fiabilité et la sécurité, rarement prises en défaut tout au long de son histoire, la plateforme étant l’une des seules à ne jamais avoir connu de piratage, seulement quelques extravagances de mèches rebelles et autres péripéties plutôt vénielles.

De fait, face à une séquence comme le fiasco de FTX qu’il pensait sans doute reléguée aux poubelles de l’histoire des cryptos, l’ex-PDG de Kraken, mais qui continue d’oeuvrer en son sein en tant que président du conseil d’administration de l’entreprise, voit rouge. Et disposant d’une plus grande liberté d’expression à laquelle visiblement il aspirait, il n’hésite pas à qualifier Sam Bankman-Fried, sans nommément le citer, de  » clown  » et d’  » escroc  » en en dressant un portrait au vitriol.

« Il s’agit d’insouciance, de cupidité, d’intérêt personnel, d’orgueil, de comportement sociopathe qui amène une personne à risquer tous les progrès durement gagnés que cette industrie a emportés au cours d’une décennie, pour son propre gain personnel. Tout en étant déjà riche en AF. »

Jesse Powell sur Twitter

La responsabilité des fonds de capital-risque et des médias dans le fiasco de FTX

Mais loin d’incriminer uniquement le jeune impétueux qui s’est cru très vite le roi du monde – devenant moins d’un an après son apparition sur la scène vers 2018, le visage de la crypto avec sa tignasse ébouriffée et ses traits poupins – il pointe la responsabilité de ceux qui ont fait monter la mayonnaise. Et en premier lieu, toutes ces sociétés de capital-risque, ces venture capital (VC ) qui l’ont accompagné dans sa griserie, pour profiter de l’état d’ébriété du marché crypto, sans respecter les règles rigoureuses auxquelles devrait idéalement répondre n’importe quel investissement.

Les médias ne sont pas plus épargnés, toujours prompts à dénicher de nouvelles têtes pour en faire des icônes de la scène contemporaine, en l’occurrence là, celle de la « nouvelle économie ». Et dans ce registre, les sites crypto n’ont pas été les derniers à encenser ce « jeune génie milliardaire », SBF comme sigle de reconnaissance qui a consacré sa popularité, qui les faisait tant rêver, grimpant très vite au sommet de leur panthéon en alimentant leur storytelling préférée, mêlant scénographie ostentatoire du visionnaire incarnant pleinement l’esprit du capitalisme technologique.

Figure de l’héroïsme entrepreneurial, réussissant à s’élever au-dessus de la masse au prix d’un travail acharné (ah! ces photos de Sam dormant sur un matelas jeté à terre au milieu de ses bureaux) et surtout d’une audace démesurée.

« Les VCs, les médias, les « experts » ont échoué. Les gens ont incendié leur propre réputation en se portant garant d’individus, de projets, d’entreprises qu’ils n’avaient pas fait diligence. Le commerce de détail vous regarde, en supposant que vous avez fait votre travail. Vous avez le devoir d’être critique et de retenir des éloges indus. »

Jesse Powell sur Twitter

Détresse des petits investisseurs et effet domino

Mais au-delà de ce constat, ce que pointe froidement Jesse Powell, c’est que la mégalomanie d’un seul individu, entretenue par (presque tous les autres) suffit à ruiner les efforts d’années de travail que lui et d’autres ont produits pour faire accepter la crypto. Les dégâts sont immenses : tous les « petits » investisseurs qui ne retrouveront peut-être jamais leur argent, et dont la détresse poignante suffit pour ébranler une confiance déjà fragile dans l’écosystème crypto,

« Je prie pour tous ceux qui se sont retrouvés pris dans ce pétrin. J’espère que cela ne vous découragera pas de la cryptographie. J’espère que vous prenez soin de vous et que vous continuez à faire partie de cette communauté. Ce sont des douleurs de croissance. L’argent peut être gagné à nouveau. Restez avec moi. »

Jesse Powell sur Twitter

Et il y a le redoutable « effet domino » dans un univers étroitement interconnecté, qui risque d’accroître les ravages. Le souvenir encore vif et cuisant de l’effondrement de Terra qui a déclenché une série de faillites qui a anéanti la société d’investissement cryptographique Three Arrows Capital et des prêteurs comme Celsius, Voyager Digital et plusieurs autres histoires où SBF a joué le sauveur, enfin non le requin, enfin les deux … risque de se reproduire. Mais nous sommes prévenus, enfin le croit-on, car les mauvaises surprises se font en général attendre.

Néanmoins, le temps n’ayant pas encore accompli son oeuvre d’oubli, nombre de sociétés crypto ont devancé l’appel et déclaré leur exposition, ou pas, à FTX et/ou à sa société soeur Alameda. D’autres, comme Sequoia, Galaxy Digital et BlockFi, qui aurait découvert le désastre sur twitter (!!), ouvrent le sinistre bal des sociétés contaminées.

Responsabilité des régulateurs et des politiques dans le fiasco de FTX

Dans ce séisme qui secoue le monde crypto, Jesse Powell n’oublie pas de pointer également la négligente désinvolture des régulateurs dans le fiasco de FTX, à l’instar d’un Gary Gensler, patron de la Securities and Exchange Commission (SEC), qui a souvent répété que les lois financières en vigueur suffisaient pour encadrer la crypto.

« Les législateurs et régulateurs américains ont également une part de responsabilité. Vous avez conduit cette entreprise à l’étranger parce que vous avez refusé de fournir un régime viable en vertu duquel ces services pourraient être offerts de manière supervisée. L’application de la loi se concentre à tort sur de bons acteurs locaux et pratiques. »

Jesse Powell sur Twitter

N’oublions pas que SBF avait ses entrées à Washington et qu’il embarrasse aujourd’hui plus d’un responsable politique, bénéficiaire de ses dons généreux.

Car oui, le jeune prodige a eu des largesses de prince, notamment avec les auteurs du projet de loi sur la réglementation crypto qu’il soutenait, la Digital Commodity Consumer Protection Act, donnant à la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) plus de pouvoirs réglementaires sur le secteur. Mais au-delà, il a aussi arrosé les principaux groupes politiques, notamment le Comité national démocrate, le Comité national républicain du Congrès et les partis démocrates des Etats à travers le pays. Et encore dernièrement, à l’occasion des élections de mi-mandat, les fameux « Midterms ».

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Les couteaux sont de sortie et l’industrie crypto risque de payer chèrement les pots cassés

De fait, les couteaux sont de sortie et aiguisent leurs lames.

« Maintenant plus que jamais, il est clair qu’il y a des conséquences majeures lorsque les entités de cryptomonnaie fonctionnent sans une surveillance fédérale solide et des protections pour les clients. Les nouvelles de cette semaine soulignent davantage le besoin urgent d’une législation. »

Déclaration de Maxine Waters, présidente du House Financial Services Committee de la Chambre des représentants des États-Unis

Du côté européen, le séisme FTX n’est pas non plus passé inaperçu, donnant l’occasion de valoriser la réglementation MiCA comme modèle.

« Il ne faudra pas longtemps avant que les exigences réglementaires pour les sociétés de cryptographie centralisées de conserver les fonds des clients dans des comptes séparés d’une manière à l’épreuve des faillites interdisant leur utilisation pour les propres comptes de la société deviennent la norme mondiale. Bientôt dans l’UE avec MiCA. »

Patrick Hansen, directeur de la strategy Europe chez Circle, in Twitter

Il ne s’agit pas ici de discuter de la pertinence d’une offensive réglementaire qui risque de tirer à boulets rouges sur tout ce qui ressemble de près ou de loin à la crypto. Il suffit de se rappeler de ces banques, supposément trop grandes pour faire faillite, qui ont joué avec l’argent de leurs clients et qui en dépit d’une réglementation stricte, leur ont fait perdre tous leurs avoirs.

Quoi qu’il en soit, le fiasco de FTX est du pain bénit pour les détracteurs des cryptos, du Bitcoin en particulier, le plus connu, le plus attaqué, le plus incompris, mais aussi le plus dangereux pour ceux (ils sont de plus en plus nombreux) qui tremblent devant sa nature incensurable.

« Une implosion d’échange de cette ampleur est un cadeau pour les ennemis de Bitcoin partout dans le monde. C’est l’excuse qu’ils attendaient pour justifier l’attaque qu’ils gardaient dans leur poche arrière. Nous allons travailler pour défaire cela pendant des années.« 

Jesse Powell sur Twitter

Préparons-nous encore à de beaux jours.

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