Une présidence allemande pour le GAFI : du changement pour les cryptos ?

08 juillet 2020 - 18:49

Temps de lecture : 5 minutes

L’institution intergouvernementale, chargée de développer des politiques de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, qui était jusqu’au 30 juin dernier présidée par le chinois Xiangmin Liu, sera dorénavant, et pour deux ans, dirigée par l’allemand, Marcus Pleyer. Faut-il s’attendre à des changements dans la réglementation cryptographique ?

Qu’est-ce que le GAFI ?

Le Groupe d’action financière vient tout juste de fêter ses 30 ans. Cet organisme intergouvernemental a été créé lors du sommet du G7 en 1989 pour lutter contre le blanchiment de capitaux. Il faut dire, si on en croit les chiffres communiqués par le FMI, que l’argent passé à la lessiveuse représenterait chaque année entre 2 et 5% du PIB mondial, soit une coquette somme comprise entre 800 et 2000 milliards de dollars (par nature, on ne peut précisément la quantifier). Rien que pour la vieille Europe, selon Europol, 1% des richesses de l’Union européenne serait impliqué dans des activités financières suspectes, soit l’équivalent du budget de l’UE.

Il est à noter au passage, et sans avoir mauvais esprit, que de nombreuses banques européennes auraient trempé dans ces affaires douteuses. On peut citer pêle-mêle et sans viser à l’exhaustivité la Deutsche Bank, ING, Indosuez, Danske Bank… Sans oublier l’impayable Nordea qui s’était fait remarquer par une note de service où elle invitait expressément ses salariés à ne pas faire l’acquisition de cryptomonnaies à titre professionnel ou privé.

Sa mission

La mission qui incombe au GAFI, étendue depuis 2001 à la lutte contre le financement du terrorisme et désormais illimitée dans le temps, consiste à préserver l’intégrité du système financier international contre son utilisation à des fins illicites. Pour réaliser son objectif, l’organisation élabore des normes et surveille leur application. En d’autres termes, le GAFI ne se contente pas de recommander de bonnes pratiques. Il conçoit des dispositifs de lutte et contrôle leur efficacité. Ainsi, une fois le cadre mis en place, il juge de la qualité de la mise en oeuvre. Une évaluation précise qui consiste à savoir si le cadre juridique et institutionnel produit ou non les résultats escomptés.

Comptant 39 membres (37 pays et territoires et deux organisations : la Commission européenne et le Conseil de coopération du Golfe), le GAFI s’appuie aussi sur des organisations au statut d’observateur. La Banque centrale européenne (BCE), la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) y sont notamment mobilisés. L’organe de décision du GAFI, la plénière, se réunit trois fois par an.

Les cryptomonnaies dans son viseur

Les cryptomonnaies sont entrées dans son viseur en juin 2019. Dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LD/FT), l’industrie crypto devra, selon ses directives, se plier à une série de règles draconiennes. Soulignons que cette tentative de réglementation du marché des crypto-actifs est une première au niveau mondial.

Lors de la dernière séance plénière de juin, le GAFI a livré le résultat de l’année écoulée concernant la mise en oeuvre de ces nouvelles normes.

Les secteurs public et privés ont progressé dans la mise en oeuvre des normes révisées du GAFI, en particulier dans le développement de solutions technologiques pour permettre la mise en oeuvre de la « règle du voyage » pour les VASP (prestataires de services d’actifs virtuels). »

Un constat plutôt positif qui n’incite pas, selon ses affirmations, à réviser les normes sur les actifs cryptographiques,. Mais un peu quand même, si on en croit ses mêmes dires et tant pis pour les contradictions et la teneur déjà drastique des mesures prises, intenables pour beaucoup de startups du secteur.

Davantage de directives sur les actifs virtuels sont nécessaires. (…) c’est pourquoi le GAFI poursuivra sa surveillance renforcée des actifs virtuels et des VASP en effectuant un deuxième examen de 12 mois d’ici juin 2021. »

Pour ce qui concerne la grosse bête noire des régulateurs, les stablecoins, autrement désignées par « pièces mondiales stables », le GAFI convient que pour le moment, les normes appliquées aux cryptoactifs suffisent et qu’aucune modification n’est requise. Mais la prudence s’impose.

Il s’agit d’un domaine qui évolue rapidement et il est essentiel de continuer à surveiller étroitement les risques LD/FT des appels de pièces stables, y compris les transactions poste à poste anonymes.

Changement de tête, changement d’orientation ?

On sait que l’Allemagne est plus bienveillante que la Chine à l’égard des cryptos. Mais cela suffira t-il à faire de Marcus Pleyer un président plus décontracté sur le sujet ? Pas sûr. Le discours du aussi directeur général adjoint au ministère fédéral allemand des Finances reste de même teneur : blockchain oui, crypto à surveiller étroitement. C’est en substance ce qu’il a affirmé lors de la dernière séance plénière concernant les nouvelles normes de l’organisation sur les actifs virtuels et les progrès déjà effectués.

La présidence allemande a l’intention de s’appuyer sur ce travail, en se concentrant sur les opportunités que la technologie peut offrir, en lançant une initiative pour surveiller les risques et explorer les opportunités. »

Notons d’ailleurs que tous les Etats membres de l’Union européenne ne s’accordent pas sur la façon de structurer la lutte contre le blanchiment à l’échelle du vieux continent. Les ministres des Finances européens s’accordent effectivement sur la nécessité d’harmoniser le cadre réglementaire de la lutte contre le blanchiment et souhaitent de concert une autorité dédiée à ces questions.

Lorsque des intérêts financiers importants sont en jeu, il existe un risque que les autorités de surveillance nationales soient directement ou indirectement influencées par des institutions ou des groupes d’intérêts surveillés.»

Communiqué des six pays (France, Pays-Bas, Italie, Espagne, Lettonie, Allemagne), le 5 décembre 2019

Mais ils se distinguent par le choix de leurs options. La France notamment, veut simplement renforcer les attributions de l’Autorité bancaire européenne, tandis que l’Allemagne pencherait pour la création d’une autorité supranationale consacrée uniquement à la LBC/FT et au secteur financier.

L’analyse d’aujourd’hui apporte de nouvelles preuves que nos règles strictes en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux ne sont pas appliquées de la même manière dans toutes les banques et dans tous les pays de l’UE. Nous sommes donc face à un problème structurel dans la capacité de l’Union à empêcher que le système financier soit utilisé à des fins illégitimes. Ce problème doit être résolu, et le plus tôt sera le mieux.»

Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission européenne pour l’euro et le dialogue social

On peut supposer que le nouveau président pèsera dans la balance et que c’est cette option d’un organe indépendant qui sera choisi au final pour chapeauter la lutte contre le blanchiment. Point positif qui permettrait sans doute de rompre avec les liens quasi incestueux qu’entretiennent le milieu bancaire et financier avec les régulateurs mais qui ne modifiera pas pour autant la suspicion portée sur l’univers des cryptomonnaies.

Pourquoi le GAFI fait-il si peur ?

On sent dans la réaction de certains pays que l’étau de la régulation se resserre autour des cryptomonnaies. Le GAFI avec ses audits réguliers prend un peu des allures de tribunal et le désir de se conformer à ses directives, même au prix d’une violation de la vie privée des citoyens, emporte un peu tout sur son passage.

Alors, pourquoi le GAFI fait-il si peur ? Parce qu’il détient le pouvoir de nuire à la réputation d’un Etat. En effet, si un pays ne coche pas toutes les cases lors d’une campagne d’évaluation, il peut se retrouver sur une liste grise ou, bonnet d’âne suprême, carrément sur une liste noire. Marqué du sceau de l’infamie « pays à risques », ses échanges commerciaux risquent d’être plus compliqués et de fragiliser son économie.

En dépit des normes, des évaluations et du blacklistage, l’argent sale continue de prospérer. Précisons tout de même que si Bitcoin y contribue, ce n’est qu’à hauteur de 1% du volume de ses transactions si on en croit la dernière étude de Chainanalysis. Une proportion certes à ne pas négliger mais sans commune mesure, rappelons-le, avec l’utilisation des monnaies fiat.

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