Un bilan contrasté pour l’industrie crypto/blockchain française au temps du Covid-19
14 juin 2020 - 12:20
Temps de lecture : 6 minutes
Par Nathalie E.
L’Adan vient de publier un rapport détaillé sur la façon dont l’écosystème crypto/blockchain français a encaissé la rude crise provoquée par le Covid-19. De conséquences dommageables en bonnes surprises, le bilan s’avère nuancé avec des différences notables selon le positionnement des acteurs.
Impact négatif sur le financement et l’activité économique
L’Association pour le développement des actifs numériques (Adan) a lancé une grande enquête auprès des acteurs de l’écosystème pour dresser un état des lieux du secteur en cette période singulière. A cet effet, elle a élaboré un questionnaire très complet destiné à évaluer les conséquences de la crise sous ses aspects les plus divers. L’ activité économique, les projets en cours, le financement, la gestion du personnel et l’organisation du travail ont été ainsi passés en revue. Le questionnaire a recueilli 87 réponses dont 72 exploitables pour établir un diagnostic précis quant à l’impact de la situation exceptionnelle que nous venons de traverser.
Premier fait saillant et attendu : le secteur n’a pas été épargné par la crise. Il a notamment subi de sévères revers au niveau de son financement. Les business angels et les fonds d’investissement se recentrant sur des projets déjà bien engagés au détriment de nouvelles levées et acquisitions.
Son activité économique a corrélativement subi un ralentissement notable. Non seulement nombre de projets de développement ont connu un coup de frein brutal, mais parfois même certaines sources de revenus ont carrément disparu. Des déconvenues cinglantes questionnant la fragilité du modèle économique en vigueur.
Des aides de l’Etat peu convoitées et/ou peu distribuées
Comme on l’a déjà observé avec l’exemple de la Crypto Valley suisse, les acteurs ont peu compté sur le soutien de l’Etat pour s’en sortir. Ceux qui ont sollicité ses mesures d’aide aux startups, notamment les prêts de trésorerie garantis par l’Etat (PGE), ne les ont majoritairement pas obtenues, leur demande parfois n’ayant pas même été traitée. Le rapport observe à cet égard que cet état de fait ne relève pas de raisons conjoncturelles mais bien plutôt structurelles.
Les acteurs ayant été notifiés d’un refus d’accès aux aides demandées se sont vu opposés, par les établissements bancaires, des motifs directement imputables à leur activité. Des acteurs se sont ainsi vu explicitement avertis qu’il serait difficile d’obtenir un prêt en raison de leur activité, celle-ci étant liées aux actifs numériques. Pour cette même raison, de façon récurrente hors temps de crise, ces entreprises se voient refuser l’ouverture d’un compte bancaire…
Rapport de l’Adan, p 11
Temps de crise ou pas, les blocages institutionnels restent invariablement les mêmes avec notamment des difficultés insurmontables pour obtenir un prêt quand la société ne dispose pas de compte bancaire auprès d’un établissement français.
En revanche, en ce qui concerne la gestion du personnel et l’organisation du travail, les contributeurs ne relèvent pas de perturbation particulière. Ils n’ont pas eu à bouleverser radicalement leur façon de travailler. Un grand nombre d’entreprises du secteur pratiquant déjà, même partiellement, le travail à distance.
Distinguo à opérer entre le secteur B2B et B2C
L’industrie semble relativement partagée lorsqu’il s’agit d’évaluer l’impact global de la crise actuelle. Plus précisément, le segment du marché aux particuliers (B2C) des activités crypto/ blockchain résiste globalement beaucoup mieux que celui des produits et services destinés à une clientèle professionnelle (B2B).
Une partie du grand public, à cause d’une disponibilité accrue en temps de confinement et motivée par la crainte d’une récession économique dominée par une méfiance vis à vis de la finance classique, s’est de nouveau intéressée aux actifs numériques. Les expérimentations hasardeuses des systèmes bancaires du monde entier y étant sans doute pour beaucoup. Plutôt circonspects face à l’action des banques centrales visant davantage à sauver les marchés qu’à protéger leurs économies, les épargnants ont cherché à découvrir des alternatives moins conventionnelles. Fait révélateur : les médias en ligne spécialisés ont connu une hausse notable de leur fréquentation. CryptoActu, au même titre que d’autres, peut effectivement en témoigner.
Ainsi, certains répondants (un tiers d’entre eux) ont pu évoquer « un choc positif de la crise ». Le krach financier a hissé Bitcoin et consorts au rang d’actif de diversification crédible. Un nombre croissant d’entreprises et de particuliers les ont donc intégrés à leur portefeuille d’investissement.
La crise ouvre un champ des possibles pour l’écosystème
Dans un contexte menaçant, a priori peu propice au changement, le secteur crypto-blockchain – dont l’aptitude à se renouveler grâce à l’agilité de son mode de fonctionnement est notoire – a su identifier des opportunités pour s’adapter au monde étrange engendré par les mesures radicales prises contre l’épidémie.
La première, qui ne lui est pas spécifique mais touche plus globalement le monde de l’entreprise, c’est l’adoption plus large du télétravail (tant en interne qu’avec les clients ou partenaires) en période de claustration contrainte. Gain de temps et de coût qui n’a pas échappé à la plupart des entrepreneurs qui vont s’empresser de généraliser ce modèle de fortune.
Plus intéressant est la valorisation des technologies blockchain en ces temps chaotiques. En effet, la crise a révélé les failles et faiblesses du système actuel à différents niveaux. De fait, les opportunités offertes par les registres distribués ont connu un regain d’attention. On ne compte plus le nombre de fois où la blockchain et ses multiples avatars sont apparues comme la solution privilégiée pour résoudre un problème urgent. On peut penser à la confidentialité des données et au respect de la vie privée (les débats autour de l’application StopCovid) ou à l’octroi des aides gouvernementales qui pose des problèmes d’ordre logistique (aux entreprises ici, à l’intention des particuliers aux Etats-Unis ). Tout autant, elles apparaissent comme le recours pour en finir avec la bureaucratie « papier » et sa lenteur légendaire ou encore pour automatiser les process (généralisation de la signature électronique) et les transactions.
Une transformation numérique boostée par la crise
Les contributeurs au questionnaire de l’Adan ont constaté une demande accrue de la part de leurs clients pour engager ou accélérer leur transformation numérique.
Une mutation exigée par les circonstances qui va probablement se poursuivre au-delà de la crise proprement dite et enclencher une dynamique contagieuse. Dynamique qui pourrait ouvrir la voie à un positionnement sur des secteurs stratégiques comme la santé ou la cyberdéfense réticents (il y a des exceptions) jusque là à s’aventurer sur le terrain de la blockchain.
En guise de conclusion
En conclusion, ce qui ressort des témoignages recueillis par l’Adan, c’est que l’industrie, ses acteurs blockchain, ses promoteurs crypto, doivent pouvoir bénéficier, au même titre que les secteurs classiques, du soutien et des aides de l’Etat. Sa jeunesse, un atout indéniable par sa propension à accueillir l’innovation et à ne pas être encore trop formatée par des modèles dominants, est aussi son talon d’Achille. Sans accompagnement adapté, elle est plus vulnérable et moins à même de lutter contre les soubresauts d’une actualité difficile.
A plus long terme, le voeu serait de se servir de l’expertise singulière et innovante du milieu pour « ré-inventer » ou du moins moduler l’économie post-crise. A cet égard, l’Adan qui regroupe aujourd’hui plus de 30 entreprises du secteur, respectant à la lettre le rôle qu’elle s’est attribuée, propose une liste de préconisations à suivre où l’accent est porté sur la concertation entre pouvoirs publics, acteurs financiers traditionnels et acteurs des actifs numériques.
Mais encore… de la nécessité de fédérer les énergies
On ne peut que saluer le travail de la très jeune association Adan, née en début d’année, qui exerce à la fois un rôle de vigie – elle a déjà alerté sur des orientations législatives délétères avec un plaidoyer précis et argumenté pour s’opposer au projet d’extension du régime qui encadre les PSAN (Prestataires de services sur actifs numériques) – et de laboratoire d’idées pour développer et pérenniser un secteur prometteur dont l’existence ne tient toujours qu’à un fil. Et ce, en dépit d’entreprises au rayonnement mondial comme Ledger ou la blockchain d’origine partiellement française Tezos. On n’évoquera pas ici la multitude d’autres acteurs qui oeuvrent pour faire progresser l’écosystème en dépit de tous les obstacles à franchir et qui s’amoncellent. En effet, l’étau législatif se resserre encore, notamment au niveau de la zone euro, lui laissant encore moins de latitude pour exprimer tout son potentiel.
Quoi qu’il en soit, aujourd’hui encore à l’échelle nationale, l’industrie crypto/blockchain est victime d’un verrouillage institutionnel qu’une parole ministérielle, qui affirme vouloir faire de l’hexagone une nation-blockchain, n’a pas libéré. En dépit d’un cadre législatif (la loi PACTE) qui a le mérite de la clarté mais qui n’est visiblement pas assez contraignant pour que le système classique accueille les besoins de la finance numérique, elle est encore en butte aux discriminations l’empêchant d’accéder à des services indispensables à son bon fonctionnement. La finance traditionnelle sait pourtant le faire quand la nécessité s’en fait sentir. Autrement dit, quand cela peut servir ses intérêts. Ainsi, la Banque de France résolument engagée dans la course aux monnaies numériques d’Etat (MDBC) semble avoir fait appel à l’expertise de sociétés crypto pour mener à bien son projet. Contradiction, quand tu nous tiens…
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