Boomers : OK Bitcoin !

05 juillet 2020 - 12:41

Temps de lecture : 6 minutes

Si le Bitcoin a, de notoriété publique, exercé une attraction plutôt sur les jeunes générations, il semblerait que les choses soient en train de changer. En effet, une étude récente menée par Mode Banking révèle un intérêt accru de la part d’investisseurs chenus. Voyons voir.

Les baby boomers aiguisent leur appétit pour le BTC

Le tournant ne nous avait pas échappé. Ici et , nous avions déjà relevé quelque chose qui ressemblait à un changement notable dans le profil des personnes s’intéressant à Bitcoin et plus globalement aux cryptomonnaies. Nous voilà donc confirmé dans notre intuition par l’étude de Mode Banking, une plateforme britannique permettant l’achat d’actifs numériques. En effet, aux premières loges pour observer le profil de ses clients, elle a pu constater que les générations les plus âgées commençaient à investir sérieusement dans le Bitcoin. Plus précisément, depuis février, leur achat, sur son site, a doublé chaque mois.

Les vieux rattrapent les jeunes

En comparant la croissance mensuelle moyenne des investissements entre les générations, Mode Banking distingue clairement un avant et après Covid-19. Avant : les jeunes, markétés milléniaux ou génération Z (ceux nés depuis1997 ) dominent largement le classement tandis que, pendant la pandémie, les baby boomers (1946-1964) et la génération X (1965-1980) ont tellement accéléré leurs investissements qu’ils ont presque comblé l’écart de croissance d’un mois sur l’autre avec leurs cadets.

Un confinement bénéfique au Bitcoin

Le contexte marqué par un arrêt brutal des économies et les mesures folles prises par les gouvernements pour endiguer le chaos ont créé un climat d’incertitude pour les épargnants. Le confinement est donc devenu propice à la quête de nouveaux secteurs pour échapper aux dérives d’un système insensé, capable de transformer le moindre avoir en roupie de sansonnet. Ainsi les recherches « Où investir ? » sur Google ont connu une nette augmentation.  Plutôt stable au cours des deux dernières années, l’indice d’intérêt a connu un pic en avril, mai et juin.

Le Bitcoin mûrit et nous vieillissons avec lui

Le Bitcoin prendrait donc les atours d’une valeur-refuge pour une frange de la population qui jusque là, selon l’idée communément admise, semblait plutôt hermétique aux charmes d’une monnaie « technologique ».

Or, méfions-nous de généralisations toujours abusives qui nous feraient croire que les acteurs et aficionados de Bitcoin seraient tous des perdreaux de l’année. Non seulement, parce que Bitcoin a 11 ans et que nous vieillissons avec lui, mais aussi parce que né d’une maturité collective, ses adeptes de la première heure n’étaient pas non plus de la prime jeunesse. De même, les clichés sur une génération en herbe qui manifesterait de façon unanime un enthousiasme débordant pour les cryptomonnaies sont à prendre avec des pincettes. Le pourcentage de jeunes acheteurs par rapport à l’ensemble de leur classe d’âge reste encore minime.

Un public qui se diversifie

Ceci dit, il ne s’agit pas de nier qu’une virile jeunesse plutôt technophile a jusqu’à très récemment composé le gros des troupes pro-bitcoin. Phénomène classique, observé au commencement de tout bouleversement technologique et qui relève plus d’un formatage normatif que d’une fougue révolutionnaire attribuée par nature aux hommes. Bon, mais ceci est une autre histoire développée ailleurs…

Revenons donc à ce public qui tend de plus en plus à se diversifier. N’exagérons rien, ce n’est pas non plus le gros chamboulement. Mais indéniablement, l’intérêt pour les cryptos gagne du terrain. Les femmes notamment s’affirment de plus en plus en tant qu’utilisatrices (on n’évoque pas ici les actrices de l’écosystème) et ce fait était déjà observable avant la crise.

Bitcoin boomers

En revanche, pour ce qui concerne la catégorie des plus âgés, la période d’instabilité économique que nous sommes en train de vivre a visiblement accéléré leur entrée dans l’univers du Bitcoin. Une incursion facilitée, pour les plus aisés d’entre eux, par les multiples initiatives émanant d’acteurs de l’économie traditionnelle qui institutionnalisent ce nouveau type d’investissement. Le Bitcoin serait devenu fréquentable, perdant hélas son mauvais genre.

River Financial, une startup californienne de services financiers, a ainsi déclaré récemment que son nombre de clients avait doublé aussi majoritairement grâce aux «Bitcoin Boomers». Une pulsion d’achat qui aurait notamment été motivée par un célèbre gérant de hedge fund américain qui a annoncé, dans une lettre à ses investisseurs, privilégier désormais le Bitcoin à l’or pour se prémunir des risques de l’inflation monétaire actuelle.

« L’activité en hausse que nous avons vue depuis le début de 2020 a été en partie inspirée par l’intervention monétaire sans précédent de la Réserve fédérale. (… ) Depuis mars, les Bitcoin Boomers ont représenté 77% de la croissance du volume de River Financial. (…) Bitcoin est en train de devenir plus accepté après que des investisseurs bien connus tels que Paul Tudor Jones se soient déclarés fans de l’actif numérique le plus précieux au monde.

Alex Leishman, co-fondateur de River Financial


La fracture générationnelle

Cet afflux de nouveaux investisseurs, grassement installés sur des matelas de fortune, est bien sûr convoité avec gourmandise. Et on leur déroule le tapis rouge (ne vous inquiétez-pas, on s’occupe de tout pour vous : achat, stockage, sécurité, assurance, retraite… ) pour qu’ils abreuvent de leurs abondantes liquidités le marché des crypto-actifs.

“Bitcoin devient populaire au sein de tous les groupes d’âge et gagne en crédibilité auprès des investisseurs institutionnels. Nous nous attendons à ce que les Millenials continuent à acheter des cryptomonnaies, mais le fait de voir des acheteurs plus expérimentés également y prendre goût est un facteur extrêmement positif pour la croissance de l’industrie.”

Janis Legler, Chief Product Officer chez Mode

Mais cet afflux est aussi considéré avec ambivalence au nom de cette supposée fracture qui entaille ce vingt et unième siècle débutant : la discutée et discutable inégalité sociale entre les générations. Pour aller vite, les plus âgés auraient et continueraient de bénéficier de toutes les facilités héritées de la croissance économique des Trente Glorieuses et des bienfaits de l’Etat-providence. Ils en auraient joui et rejoui, épuisant les ressources de l’Etat (colossale dette publique) et celles de la planète. Les millennials eux seraient donc tout bonnement sacrifiés sur l’autel de l’égoïsme de leur aînés, héritant du pire sans rien connaître du meilleur.

Du Bitcoin pour tout le monde

On peut ne pas souscrire complètement à ce constat de rupture du contrat social intergénérationnel. On peut au moins le tempérer au nom d’une complexité et d’une variété de situations au sein d’une même classe d’âge et rappeler à ceux qui l’ignoreraient que les inégalités entre générations ne sont pas nouvelles. Mais on peut aussi entendre résonner l’écho d’une frustration générationnelle qui croit trouver dans l’appropriation des cryptomonnaies le moyen de restaurer ce sentiment de déclassement.

Les baby-boomers et la génération X vont s’approprier des quantités massives de #Bitcoin et contrôler de façon exponentielle plus de l’actif que les milléniaux alors que ce devrait être l’inverse.»

Jason Williams, cofondateur de Morgan Creek Digital

En d’autres termes, on veut bien, pour reprendre le titre d’un film féroce des années 70, de l’argent de la vieille mais pas de la vieille elle-même. Alors, on fait comment ?

Gloutonnerie institutionnelle

Trêve d’ironie, le problème n’est pas tant cette histoire de générations. Plus le Bitcoin sera partagé et mieux ce sera. N’oublions pas qu’il a été conçu pour appartenir à tout le monde sans exclusive et exclusion, en échappant à toute forme d’autorité.

Si problème il y a, c’est plutôt du côté des gros bonnets de la finance classique qu’il faut regarder. En se l’appropriant massivement, ils pourraient transformer Bitcoin en une valeur refuge ou de réserve à l’usage exclusif des plus nantis.En ce sens, la séquence Grayscale de ces dernières semaines n’est pas très rassurante. Le fonds d’investissement se bâfre littéralement de Bitcoins. Les petits investisseurs particuliers en quête de quelques satoshis n’auront bientôt plus la possibilité d’en acquérir s’il continue de gloutonner tout sur son passage. En effet, ne se contentant pas d’acheter tout ceux minés depuis le halving, il en aurait accumulé 14 000 supplémentaires depuis cette date. À ce rythme, l’ogre américain possédera 3,4% de la quantité de BTC totale disponible d’ici à la fin de l’année. Et 10% de cette quantité en 2024.

L’indigestion menace mais c’est nous qui avons la nausée. Alors, jeunes, vieux ou individus entre deux âges, l’impératif aujourd’hui, c’est que Bitcoin soit le plus populaire possible. Si on ne veut pas consentir à la main mise de tous ces rapaces institutionnels qui ont attendu, tapis dans l’hypocrisie, le moment propice pour se l’approprier et nous en déposséder, il serait préférable que l’on progresse ensemble.

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